Quand l’intérêt policier rencontre la préoccupation politique… En cette année 2008, les responsables politiques – il s’agit des premiers mois de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Michèle Alliot-Marie est ministre de l’intérieur – s’inquiètent des mouvements de protestations venus des marges de la gauche, de la jeunesse, des « Black blocs » qui perturbent les sommets internationaux. Ça tombe bien pour les RG. C’est le point 2 de la note rédigée début 2008 sur le « groupe Coupat » présent dans le Limousin : ces « activistes anarcho-autonomes » sont « articulés en réseau » pour mener des « actions violentes ». Le but est d’obtenir interceptions de sécurité (écoutes téléphoniques administratives) et moyens de surveillances :
« Au nombre d’une vingtaine, les militants qui constituent le noyau dur de ce groupe se sont connus pour la plupart à la fin des années 1990, par le biais de leur cursus universitaire ou au travers d’actions violentes auxquelles ils ont participé, en marge de la contestation des sommets du G8 ou du FMI – Prague en septembre 2000, Gênes en juillet 2001, Evian en juin 2003, Heiligendamm (Allemagne) en juin 2007 –, de manifestations anti-système – Milan en mars 2001, Strasbourg en juillet 2002, Paris en novembre 2003 – , antinucléaires ou contre l’administration pénitentiaire. Enfin, ils se sont côtoyés lors d’occupations de lieux d’enseignement dans le contexte de conflits sociaux – Paris, Rouen, Mont-Saint-Aignan, Rennes – ou du fait de leur fréquentation des squats anarcho-autonomes en France – Paris, Créteil, Seine-Maritime – et à l’étranger – Suisse notamment. »
Un « truc » pour les écoutes
Deux ans après le mouvement de protestation contre le Contrat première embauche (CPE), émaillé de violences, l’argument ne peut que faire mouche.
Mais la mise en scène n’est pas que politique, elle est aussi juridique. L’objectif de la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité (écoutes téléphoniques non-judiciaires) était d’éviter les écoutes politiques. La frontière est ténue quand on enquête sur les marges de la gauche ou de la droite.
Alors la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS, autorité administrative chargée de valider les demandes) et les services de renseignement ont trouvé un « truc » pour traiter des groupes contestataires : il suffit de leur attribuer des faits de violences lors de manifestations (voire, par glissement, une participation à une manifestation durant laquelle des violences ont été commises) – il s’agit donc de « délinquance » –, d’assurer qu’ils forment un groupe structuré – ils sont donc « organisés » –, et l’affaire est dans le sac : on peut arguer du motif « criminalité et délinquance organisées », l’un des six prévus par la loi (que le législateur n’avait pas vraiment créé pour ça…).
L’insurrection qui vient
Et pour enfoncer le clou, quelques écrits, « qui se veulent prémonitoires », sont cités par les RG :
« Ces individus semblent mettre en pratique, à ces occasions, les théories élaborées dans leurs écrits qui se veulent prémonitoires : « … les différents foyers du Comité invisible, conjuration anonyme qui, de sabotages en soulèvements, finit par liquider la domination marchande dans le premier quart du XXIe siècle ». Une prose identique figure d’ailleurs sur une affiche découverte le 8 décembre 2006 à proximité du site de (…), ainsi que dans le dernier brûlot attribuable au groupuscule paru en mars 2007 sous le titre L’insurrection qui vient. »
« L’ex-Action directe et l’ex-GARI »
Ensuite, il faut installer les personnages, le leader, bien-sûr, mais aussi les mentors. Et si, en plus, apparaît une possible filiation – très indirecte, sans mauvais jeu de mots – avec Action directe, le groupuscule qui a terrorisé la France dans les années 1980…
« A des activistes trentenaires – Julien Coupat, [suivent 13 noms] – s’ajoutent les militants autonomes plus âgés (…) ayant été mis en cause à la fin des années 1980 pour leur activisme violent notamment dirigé contre la SNCF. Parmi ces derniers, R. S. apparaît comme un élément central de la mouvance identifiée en région Limousin. Animateur de la revue Mordicus et membre présumé du groupe violemment anti-carcéral Os Cangaceiros dans les années 1980, il n’a jamais renié ses relations avec des membres de l’ex-Action directe et de l’ex-GARI [Groupes d’action révolutionnaire internationalistes, auxquels Jean-Marc Rouillan a appartenus avant de créer Action directe]. »
Pour les surveillances, « la vingtaine d’individus constituant le noyau dur de la communauté limousine sont des objectifs potentiels. Leur ordre de priorité est le suivant »… Julien Coupat est le premier. Pour les RG, il est le leader. Des interceptions de sécurité sont recommandées.
« Individus brillants qui cultivent la non-intégration sociale »
Une deuxième note, elle, est plus synthétique. Parfois, elle correspond mot pour mot à la première. Mais il lui arrive de diverger. On sent que les policiers veulent masquer leur(s) source(s) – ou qu’ils n’ont pas les mêmes, entre Paris et la province. On y trouve le même comportement « paranoïaque » de Julien Coupat et ses amis, mais cette fois-ci, ce ne sont pas « certains voisins et habitants des villages proches » qui en témoignent, mais « des témoins les ayant fréquentés à leurs débuts dans le monde de l’écriture ».
Globalement, le travail est plus intellectuel. Le « réseau d’activistes anarcho-autonomes » devient « une mouvance d’essence autonome et situationniste ». On sent poindre, presque, une forme d’admiration-fascination pour des « individus brillants qui cultivent la non-intégration sociale ».
Mais, ici, tous les éléments – vérifiés ou pas – sont dirigés vers une toute autre démonstration. Il ne s’agit pas d’obtenir des écoutes ou des filatures, non. Il faut étayer un rapprochement osé avec une affaire qui a mobilisé médias et policiers, en vain, en 2003-2004 : celle du groupe AZF. De mystérieux activistes qui avaient tenté de faire du chantage à un attentat sur le réseau ferré, avant de disparaître sans laisser de trace.