épisode

#48

L’alphabet d’une affaire (1)

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat et huit de ses amis, sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Pendant cinq ans et demi, la SDAT a mené l'enquête, d'abord sous l'autorité du juge Thierry Fragnoli puis de Jeanne Duyé.

Nous arrivons au bout du feuilleton. Avant le dernier épisode, nous allons nous pencher pendant deux jours sur quelques points du dossier qui n’ont pu s’intégrer aux autres épisodes durant deux mois, et qui méritent notre attention, des écoutes, aux expertises, en passant par les filatures. De A comme acétone à Z comme Zemmour. Première partie aujourd’hui, jusqu’à M comme minutages.

 

Le nom du produit apparaît sur l’une des listes de course retrouvées par la gendarmerie royale canadienne dans le sac de Julien Coupat, en janvier 2008 :

« Ce feuillet est constitué d’un dessin représentant le magasin général de Tarnac en marge duquel il figure les mentions manuscrites suivantes : « Gants 25 000 W (Raph), Scotch, Pince, Barbour-Caban, Tubes + ficelles, Essai, 2 paires de gants, Frontale, Livres, Acétone et graissant/dégraissant ». »

Le 7 avril 2009, le capitaine AL fait un procès-verbal d’exploitation de la découverte. Pour cela, il a fait appel à un responsable maintenance caténaire de la SNCF qui, assez logiquement, a interprété la liste exclusivement sous l’angle de sa spécialité : les caténaires. Et ça tombe bien, puisque le policier a très envie que la liste ait un rapport avec le sujet de son enquête : les caténaires.

« La mention « Acétone Graissant Dégraissant » semble, toujours selon Monsieur B., faire référence aux propriétés intrinsèques de ces produits l’intéressé déclarant « l’acétone est un dissolvant qui permet de dégraisser les pièces mais dispose d’autre propriétés notamment nettoyantes, (…) dans le cas qui nous occupe on peut penser que son utilisation corresponde à la volonté de rendre les crochets moins glissants, je sais de plus le crochet examiné sur la ligne « Paris-Strasbourg » avait fait l’objet d’un graissage au niveau du loquet pour favoriser son mouvement afin qu’il retombe en position basse se verrouillant ainsi que la caténaire ». »

« Monsieur le juge d’instruction nous a posé 4 questions sans autre précision technique du cas qui nous est soumis »

Evidemment, M. B. est un peu limité comme expert. Alors le juge nomme un grand professeur, « expert près de la Cour Administrative d’Appel de Paris, expert près de la Cour d’Appel de Paris, expert agréé par la Cour de Cassation », le 12 juillet 2010. Entre-temps, des tubes en PVC qui auraient pu servir à la pose des crochets sur les caténaires ont été découverts. Le magistrat pose quatre questions :

« 1/ Indiquer quels sont les usages domestiques habituels de l’acétone

2/ Indiquer les effets de l’acétone sur les dépôts biologiques (empreintes papillaires et traces ADN)

3/ Indiquer les effets de l’acétone sur du PVC rigide (type tuyau de canalisation ou d’écoulement)

4/ Faire toute remarque ou observation utile à la manifestation de la vérité »

La suite donne lieu a une joute parfaitement improbable. Le problème du juge Fragnoli, c’est qu’il ne sait souvent pas vraiment ce qu’il cherche, ou qu’il ne l’assume pas complètement. Ses questions sont floues et très générales, et l’expert s’insurge :

« Monsieur le juge d’instruction Fragnoli dans son ordonnance de commission d’expert nous a posé 4 questions sans autre précision technique du cas qui nous est soumis. Les analyses déjà diligentées dans la recherche de la vérité n’ont pas été fournies à l’expert. Ce dernier n’a eu que quelques indications via Internet et des coupures de presse. Ni aucun rapport officiel de police de ce qui a été fait, ni aucune pièce technique n’ont accompagné la demande se résumant à 3 pages. L’expert pour répondre aux questions posées a consulté la littérature sur Internet et les banques de données scientifiques spécialisées dans la chimie Organique et biologique – Sci Finder – qui groupe environ 19 millions de références bibliographiques principalement sur le CAS (Chemical Abstract Service) et Medline. L’interrogation s’est effectuée par « mot clé ». Ne connaissant pas le contexte exact de cette affaire, ni les faits exacts, l’expert n’a eu d’autre alternative que de répondre d’une manière générale aux questions posées par la mission du tribunal. »

« J’ai bien reçu, et pris connaissance avec une certaine stupéfaction, de votre rapport d’expertise »

De fait, le grand professeur imprime 195 pages de Wikipédia, de bibliographie et d’articles sur l’affaire. Et, bien-sûr, une facture de 1865 euros. Le juge Fragnoli lui répond sèchement :

« J’ai bien reçu, et pris connaissance avec une certaine stupéfaction, de votre rapport d’expertise daté du 23 septembre 2010 et de sa lettre d’accompagnement datée du 24, le tout posté le 20 du même mois. S’agissant de vos observations préliminaires sur « les analyses déjà diligentées » qui ne vous ont pas été fournies, ainsi que sur d’éventuels éléments du dossier dont vous auriez eu besoin, il vous était tout à fait possible de contacter mon cabinet par téléphone, ou tout autre moyen à votre convenance. Je relève, cependant, que vous dites vous-même, dans votre lettre d’accompagnement, que les quatre questions étaient « bien précises »; j’ajoute même pour ma part qu’elles étaient brèves, claires, concises et ne nécessitaient pas –à priori- de faire une recherche et une compilation d’informations des faits du dossier sur internet, dont la fiabilité n’apparaît pas des plus certaines, alors même que votre mission vous donnait accès à votre convenance au cabinet du juge mandant et au dossier lui-même. Concernant le reste du rapport, il s’agit pour l’essentiel d’une compilation d’informations recueillies toujours sur internet, incompréhensibles pour la  plupart, et dont certaines sont en langue anglaise. Votre réponse à la seconde question posée me laisse ainsi tout à fait dubitatif, puisque vous expliquez tout d’abord que cette question ne relèverait pas de votre compétence, ce qui aurait dû vous conduire à me contacter immédiatement, mais vous poursuivez cependant en évoquant que « l’acétone n’est pas incompatible avec l’ADN », ce qui est parfaitement obscur et incompréhensible. S’agissant des traces papillaires, vous ne les abordez même pas, alors même que parmi les documents que vous avez compilés sur Internet il est indiqué que l’acétone dissout notamment les graisses. Je me vois donc dans l’obligation, d’une part de diligenter immédiatement un autre expert avec la même mission, et d’autre part de revoir très fortement à la baisse la taxation de votre mémoire de 1.865 euros, ce dont vous me voyez désolé. »

L’expert ne lâche pas, et se défend un mois plus tard :

« Vous m’avez nommé expert dans l’affaire référencée ci-dessus en me posant 4 questions. A la suite de mon rapport, vous m’avez signifié votre mécontentement concernant les réponses qui ne vous paraissaient pas toutes précises. Professeur d’université, auteur de 450 publications internationales et expert depuis plus de 20 ans, inscrit sur la liste nationale, j’ai l’habitude de répondre aux questions posées. Toutefois dans une affaire qui m’est inconnue sans pièce annexe et avec des questions générales, je ne pouvais honnêtement que répondre dans un contexte général. Je ne souhaite revenir sur vos critiques qui ne me paraissent pas toutes justifiées et vous montrer si vous le souhaitez qu’avec une ordonnance claire, je dépose un rapport qui donne satisfaction. Concernant ma note d’honoraires, votre appréciation m’engage fortement à considérer que ma prestation s’est faite à titre gracieux. »

Le 4 novembre 2010, l’Institut national de police scientifique (INPS), plus compréhensif, répondra donc au juge, que l’acétone « est un solvant très utilisé dans l’industrie et en laboratoire », son « action chimique sur les dépôts biologiques de type ADN ou empreintes papillaires est généralement inerte », sauf « l’action mécanique réalisée à partir de lavages abondants ou par essuyages à l’aide d’un tissu imbibé du solvant acétone [qui] peut entraîner une disparition partielle ou totale de ces traces biologiques. Cette action mécanique étant, par ailleurs, d’autant plus destructive que les supports sur lesquelles sont présentes ces traces biologiques sont lisses et non poreux. En effet, un support de type verre ou tube PVC rigide à surface lisse et non poreuse ne nécessitera que très peu de lavages ou d’essuyages par rapport à un support poreux de type tissu ou feuille de papier ou carton afin d’éliminer ces traces biologiques ».

En gros, l’acétone peut servir à des gens qui retapent une ferme. Il a aussi pu servir à laver les tubes en PVC utilisés pour les sabotages (mais quand, si l’on suit le PV de filature de la nuit du 7 au 8 novembre ?) mais pas les crochets en fer à béton qui ne sont pas lisses. Peut-être est-ce ce que le juge voulait savoir. Peut-être.

 

B comme balises

Le 12 avril 2011, le juge cède à une demande des avocats (c’est rare). Il s’agit de savoir si les policiers avaient posé une balise GPS sous la voiture de Julien Coupat et Yildune Lévy, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, comme certains l’ont laissé entendre aux journalistes pour justifier les incohérences du PV de surveillance :

« Dans le cadre de la commission rogatoire en cours, et selon les termes d’une demande d’acte des conseils, je vous prie de bien vouloir confirmer ou infirmer l’information selon laquelle les services de la sous-direction anti-terroriste de la direction centrale de la police judiciaire ont fait usage d’un dispositif de balise GPS fixé sur le véhicule Mercedes (…) le 7 et 8 novembre 2008. »

Sans surprise, le patron de la SDAT répond le 26 juillet (il lui a quand même fallu trois mois) :

« Pour faire suite à votre demande en date du 12 avril 2011, j’ai l’honneur de vous informer que la sous-direction anti-terroriste de la direction centrale de la police judiciaire, n’a pas été amenée à faire usage d’un dispositif « GPS » sur le véhicule « Mercedes » immatriculé (…) les 7 et 8 novembre 2008. »

Et la DCRI ? La question n’est pas posée.

C comme coûts

Soyons terre-à-terre un instant : combien a coûté l’affaire de Tarnac au contribuable ? Impossible à savoir : des milliers d’heures d’écoutes, des expertises, des déplacements à l’étranger, des surveillances et des policiers mobilisés 24/24… C’est vertigineux. Les dommages, eux, ont été chiffrés une dernière fois par la SNCF le 24 janvier 2014 : 418990,05 euros au total, dont 48957,15 euros pour celui de Seine-et-Marne et 92130,44 euros pour celui de Moselle.

D comme dépanneuse

Le 9 décembre 2013, le patron de la section antiterroriste du parquet de Paris transmet à la juge d’instruction Jeanne Duyé un jugement rendu le 25 juin 2012. « En effet, de nombreuses référence à ce dossier apparaissent dans cette dernière [procédure] », assure-t-il. Le jugement du tribunal correctionnel de Paris est joint. Il s’agit de l’affaire dite « de la dépanneuse » qui a conduit cinq personnes considérées par la police comme membres de la « mouvance anarcho-autonome » en procès pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ». L’ADN de trois d’entre-eux a été retrouvé sur un engin incendiaire placé sous un véhicule de police, le 2 mai 2007, à Paris. Une drôle d’histoire, dans laquelle ils ont été interpellés séparément et toujours fortuitement, les uns lors d’un contrôle de la BAC dans le Val-de-Marne, les autres par des douaniers au péage de Vierzon (avec dans leur voiture un fumigène et le fameux livre italien A chacun le sien, 1000 moyens pour saboter le monde, voir épisode 42). L’un a été relaxé, les quatre autres condamnés, pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme », donc, mais aussi pour « détention sans autorisation de produit explosif » (les fumigènes…).

Le lien avec Tarnac ? Le tract distribué par Julien Coupat lors de la manifestation anti-Edvige d’octobre 2008 les concernait, des courriers envoyés par l’un d’eux depuis sa prison, ont été retrouvés chez Yildune Lévy. D’évidence, tout le monde se connaît un peu dans l’« ultragauche ». Surtout, ils sont les premiers militants de la mouvance condamnés pour « terrorisme » dans la foulée des instructions données sous Nicolas Sarkozy. En fait, en transmettant le jugement, le parquet indique la marche à suivre aux juges d’instruction de Tarnac.

« La mouvance anarcho-autonome peut se définir par ses modes d’action, lesquels sont accompagnés de violence et de destructions »

Le jugement du tribunal correctionnel s’interroge d’ailleurs sur la notion de « mouvance anarcho-autonome » :

« Ce dernier constat conduit inévitablement à s’interroger sur la définition de la mouvance anarcho-autonome, notion retenue pour qualifier l’appartenance politique et les motivations des prévenus et dont ces derniers dénient jusqu’à l’existence même.

Par nature, une mouvance est difficile à définir, à plus forte raison si elle réunit, comme c’est le cas en l’espèce, des personnes adhérant aux idées véhiculées par l’anarchisme et refusant d’appartenir à des institutions politiques ou associatives structurées.

Le tribunal a interrogé les prévenus pour savoir si compte tenu de l’intérêt qu’il portaient tous aux personnes incarcérées, aux sans-logis, aux sans-papiers, ils étaient adhérents ou avaient été adhérents d’associations ou d’organisations internationales se consacrant à ces mêmes causes particulièrement dignes d’intérêt. Ils ont tous répondu par la négative. C’est là que se situe l’autonomie.

En outre, loin d’être une création du pouvoir politique en place relayée par les services de police, la mouvance anarcho-autonome peut se définir par ses modes d’action, lesquels sont accompagnés de violence et de destructions. »

E comme écoutes

Des heures et des heures d’écoutes. Pour pas grand-chose. Prouver un relationnel, ou, plus certainement, surveiller les activités des membres des comités de soutien sous couvert d’enquête judiciaire. Celui-là, J., a été écouté deux mois, en 2009, avec sa copine, A. :

Date: 2009-03-24 Heure: 20:36:30 Durée: 35 Sens: Reçu

Numéro correspondant: 06xxxxxxxx Abonné: Xxx Xxxxx Utilisateur: A.

Transcription:

« J. : Allo.

A. : Ouais.

J. : Ouais.

A. : Eh, je ramène des pâtes.

J. : Très bien.

A. : Tu peux mettre de l’eau à chauffer ?

J. : Ok, tu es loin?

A. : Euh, non, non.

J. : Je la mets maintenant l’eau?

A. : Hein?

J.: Je mets l’eau maintenant ?

A. : Ah oui.

J. : D’accord.

A. : A tout de suite.

J. : A tout de suite. »

« Est-ce que par hasard, on en arriverait à l’exorbitante accusation que quelqu’un aurait voulu ouvrir un squat ? (Rires) »

Une deuxième conversation, une semaine plus tard:

Date: 2009-04-01 Heure: 12:35:34 Durée: 3182 Sens: Reçu

Numéro correspondant: Xxxxxxxxxx Utilisateur: non identifié

Transcription:

« (…) G. : Et pour l’affaire de Julien Coupat, est ce qu’il se passe des trucs nouveaux? Dans la presse, j’ai pas vu grand-chose.

J.: Heu, il s’est passé des choses un petit peu, notamment, pour lui, il y a un cycle incessant de demande de libération, d’appel, d’appel de l’appel, de machin, enfin bref, qui jusqu’ici n’ont abouti à rien. Lui est passé plusieurs fois d’avant le juge d’instruction. Il s’est exprimé sur les faits, sur autre chose, voilà, mais ce sont des prétextes pour pas le mettre dehors, qu’il faudrait l’entendre encore une fois, ou que il attend un retour de commission rogatoire à l’étranger, enfin, il y a toujours des trucs, toujours des raisons, notamment la première est totalement bidon dans la mesure ou notamment son avocate demande, ne cesse de réclamer qu’il soit entendu à nouveau pour qu’on en finisse et le juge fait la sourde oreille, donc ils prétendent qu’ils le gardent pour l’entendre à nouveau, mais il se presse pas du tout pour l’entendre. A côté de ça, ils continuent d’interroger les 8 autres qui sont toujours inculpés mais qui sont…

G. : Qui refusent de répondre.

J.: Voilà, t’as vu la lettre ?

G. : Oui, ça j’ai vu.

J.: Voila.

G. : C’est paru un moment dans Le Monde.

J.: Ouais, donc voilà, ça c’est un peu la dernière chose un peu récente, c’est ça. D’ailleurs, je l’ai raté, ce matin, il y avait, je sais pas, des élus de toutes sortes, qui faisaient une conférence de presse à 11 heures, et je l’ai pas écouté tiens, et voila, dans Le Monde, il y a quelques jours, il y a eu quelques révélations sur le dossier comme quoi c’était, qui tendaient à démontrer que c’était composé principalement d’air, avec peut être un peu de vapeur d’eau.

G. : Oui, je crois que j’ai lu ça.

J.: Et ce à quoi, les méchants ont riposté immédiatement en prétendant avoir découvert à l’instant des documents informatiques tout à fait compromettants.

G. : Un ordinateur, ouais.

J.: Après quatre mois, ils découvrent le soir même de la publication des trucs dans Le Monde.

G. : Oui, c’est bizarre.

J.: (inaudible) c’est vraiment.

G. : C’était pas un peu grotesque ce qu’ils ont trouvé (inaudible).

J.: Si, totalement grotesque, c’est il y a quoi, alors, il y a le truc le plus grave c’est un manuel de bombes.

G. : Oui, c’est ça, de bombes artisanales.

J.: Des manuels, tu sais, des trucs comme ça, il y en a sur internet partout, des cinquantaines, je sais pas ce qu’ils appellent manuel il y a des trucs ou t’as des espèce de manuel ou ils t’exposent, ou ils t’expliquent aussi bien comment fabriquer une bombe que comment, je ne sais pas moi, comment fabriquer ceci ou cela, enfin, il y a plein de noms je crois en plus que c’était un fichier qui était effacé, donc ça prouve rien, enfin, quelqu’un peut télécharger ça et l’effacer parce que cela ne l’intéresse pas, enfin, bref. Et puis quand bien même, comme le faisait remarquer un type très justement, qui faisait un commentaire sur internet, il disait, bon, moi, j’ai un manuel de bonzaï chez moi, et j’ai jamais fait de bonzaï (Rires).

G.: Ouais .

J.: Donc ça c’était la pièce la plus sérieuse qu’ils ont trouvé, et sinon, c’est un truc, je sais pas quoi, une facture EDF qui aurait pu servir à faire une fausse domiciliation. Alors, je sais pas, est-ce que par hasard, on en arriverait à l’exorbitante accusation que quelqu’un aurait voulu ouvrir un squat ? (Rires) Et l’autre truc, je sais plus ce que c’est, ou s’inscrire à la médiathèque d’une ville qui n’était pas la sienne, euh et, l’autre chose, je sais plus ce que c’était mais c’était encore plus ridicule. Donc c’est assez. Car ils ne cessent de dire qu’ils ont, que le dossier n’est pas vide, qu’ils ont des choses sous le coude, alors que ça évidemment, c’était des choses qui n’était pas au dossier, notamment, la ministre, à l’air très au courant de ce qu’il y aurait comme choses à charge mais qui ne figure pas dans les neuf tomes du dossier.

G. : Mais est ce qu’ils sont tenus de les…

J.: En principe, oui.

G. : Divulguer à la presse.

J.: A la presse non, mais aux avocats au moins.

G.: Hein hein.

J.: A la presse non, bien sur que non, c’est pas public tout ça.

G. : Ah oui, c’est ça.

J.: C’est le secret de l’instruction, mais les avocats par contre sont censés être au courant de tout ce qu’il y a comme document.

G.: Oui.

J.: (inaudible) Pour la défense. Ils ne cessent de prétendre qu’ils ont des trucs et pis voilà, en l’occurrence, ils étaient obligés de sortir quelque chose et ce qu’ils ont sorti n’est pas brillant et tend à prouver qu’effectivement.

G. : Ils n’ont rien.

J.: Ils n’ont vraiment rien quoi.

G. : Je ne sais pas ce qu’ils vont faire. C’était un peu bizarre.

J.: Ben ce qu’ils peuvent faire, c’est simplement laisser traîner.

G. : Ça oui, ils le font de toute façon.

J.: De toute façon, ils peuvent le garder quatre ans en taule sans procès donc heu la loi le permet, donc après, ils peuvent faire traîner indéfiniment avec des faux prétextes etc… Et attendre que l’affaire soit oubliée. La il se trouve que là, elle est pas tellement oubliée totalement, des médias, ce qui est étonnant car en général, ils ont la mémoire très courte mais.

G. : Mais, vous avez organisé des concerts, des trucs comme ça, d’importance, des événements qui…

J.: Ouais ouais, il y a eu beaucoup de choses en janvier notamment.

G. : Avec pas mal de monde

J.: Ouais, va y en avoir à nouveau. Pis il y a, je ne sais pas, en France, il y a 58 comités de soutien un truc comme ça dans différentes villes. »

« Oui bonjour, j’aurais voulu savoir le prix d’une ligne d’échappement pour une Supercinq diesel »

Une autre conversation soulève un point déterminant de l’enquête… ou pas:

Date: 2009-04-15 Heure: 14:58:56 Durée: 500

Sens: Emis

Transcription:

« Xh: Allo?

A.: Oui bonjour, j’aurais voulu savoir le prix d’une ligne d’échappement pour une Supercinq diesel.

Xh: Il faut compter quarante euros en occasion.

Suite de la conversation sans intérêt. »

C’est vrai que le début était passionnant.

F comme financement

Il est la cause du premier contact sérieux des occupants du Goutailloux avec la police. Le 10 novembre 2005, le secrétaire général de Tracfin, le service de renseignement du ministère de l’économie chargé de surveiller les flux financiers suspects, envoie un signalement au procureur de la République :

« L’analyse financière menée par Tracfin sur les comptes de l’association Gouttes de Soleil et  de la SCI Le Goutailloux a révélé des mouvements financiers atypiques accréditant l’hypothèse d’un blanchiment du produit d’activités délictueuses. »

En fait, de gros dépôts en espèces (que les banques sont tenues de signaler à Tracfin) et des virements importants ont servi à acheter la ferme. Tracfin trouve le montage juridique « opaque », excipant notamment des liens mouvants entre l’association, la SCI et Julien Coupat, mais essentiellement de l’appartenance de tout ce petit monde à la « mouvance anarcho-libertaire », qualifiée « d’environnement sensible ».

Tracfin est un service de renseignement, il doit passer la main ensuite à la justice qui saisit la police judiciaire. C’est l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) qui s’y colle. Un an plus tard, l’affaire est classée sans suite. L’origine des fonds est établie, chacun a mis au pot, et c’est tout. Mais l’un d’eux a le malheur d’être Suisse (et être Suisse ET « anarcho-libertaire », ça ne rentre pas dans les grilles de compréhension de Bercy), ce qui explique des mouvements un peu complexes.

Le 28 novembre 2008, le juge Fragnoli joint toute la procédure à son dossier.

G comme guerre

Le 29 juillet 2011, le capitaine BM décide d’exploiter le fameux courrier adressé au « Parti imaginaire – comité invisible Le Goutailloux Javaud 19170 Tarnac » (voir épisode 35), considéré comme la preuve du lien entre Tarnac et le « Comité invisible » auteur de L’Insurrection qui vient, et donc Julien Coupat. A l’intérieur de l’enveloppe, un texte intitulé « C’est la guerre – djihad » :

« Procédons comme suit à l’examen du texte contenu dans cette enveloppe. Constatons que le texte dactylographié d’une quarantaine de lignes tourne en dérision le « Comité Invisible du Parti Imaginaire », ses options idéologiques et sa radicalité. Il se présente en effet comme un appel à la « guerre » émanant de l »Invisible Comité Jihad », référence sarcastique au « Comité Invisible », décrivant non seulement ses options idéologiques, mais développant également un programme. Plusieurs références font allusion aux ouvrages signés du « Comité Invisible » ou à d’autres pamphlets anonymes. Ainsi est-il écrit « Que les croyants répondent à l’Appel » ou « et sur nos ennemis s’abattront les foudres de l »Insurrection qui Vient » ou encore « les Vraies stratégies de la Guerre Civile En Cours », faisant référence aux ouvrages L’Appel, anonyme, L’Insurrection qui vient, signé du « Comité invisible », et « contribution à la Guerre civile en Cours », ensemble de textes anonymes parus dans la revue « Tiqqun – Organe de liaison au sein du Parti Imaginaire » et édités aux édition La Fabrique. Ce texte se livre à une critique acerbe de la radicalité du « Parti imaginaire », indiquant ainsi « qui n’est pas avec nous est contre nous, qui est contre nous est notre ennemi », ou encore « L’invisible Comité Jihad, qui représente la seule voie Vraie à gauche de l’ultra-gauche, en appelle ici à la chasse aux traîtres et aux réformistes souillant la seule voie Vraie et l’Unique Parti » (….) « Nous seuls sommes les vrais dans la Vérité de la raison Radicale ».

« Nous : l’Unique et Invisible Comité Invisible Jihad, acteurs de la vie socio-économique et locale (mon épicier est un type formidable !) de Plouc-les-Bois »

Le texte reprend également, toujours avec dérision, la thématique de l’état de guerre développé au sein des ouvrages L’Appel et L’Insurrection qui vient. Il est ainsi écrit « les attentats suicides de la Guerre » (…) « la généralisation des boucliers humains de la Guerre »(…), « la rhétorique systématique de la Guerre ».

En outre, ce texte assimile de façon quasi-explicite le « Comité invisible du Parti imaginaire » au groupe constitué à Tarnac autour de Julien Coupat. Il est ainsi écrit en appendice du texte : « Nous : l’Unique et Invisible Comité Invisible Jihad, acteurs de la vie socio-économique et locale (mon épicier est un type formidable !) de Plouc-les-Bois ; Nous sommes une vingtaine et vous des millions. Alors, faites gaffe ! »

Un autre passage du texte semble faire référence au rôle de direction joué par Julien Coupat au sein du « Comité Invisible », en se moquant de ce dernier : « Nous revendiquons »(…) »des facilités de reconversion pour notre Guide Suprême à un poste haut placé dans l’édition — satisfaisant ainsi sa légitime soif de pouvoir et de paillettes après ces brèves mais dures années passées en clandestinité à visage découvert ».

Enfin ce texte décrit le programme des actions prônées, si l’on respecte l’analogie « Invisible Comité Jihad »/ »Comité Invisible du Parti Imaginaire », par cette dernière entité et notamment « les attentats suicide de la guerre contre les ANPE, les commissariats et les centrales nucléaires, symboles-clé de l’aliénation capitaliste ». »

« L’ensemble de ces éléments tendent donc à mettre en évidence l’existence d’une véritable structure au sein du « Parti imaginaire » »

Il s’agit donc du texte d’un dingue, chacun peut en juger. Qui a manifestement des marottes pas très éloignées du témoin sous X alias T42, alias Jean-Hugues B. : focalisation sur Julien Coupat, lien avec les incendies d’ANPE… Le capitaine BM aime bien, lui. Il conclut même :

« L’ensemble de ces éléments tendent donc à mettre en évidence l’existence d’une véritable structure au sein du « Parti imaginaire », ayant pour nom « Comité Invisible », formée autour du nommé Julien Coupat, inscrite dans la radicalité, dotée d’une doctrine commune basée sur la notion de « Guerre civile en cours ». »

Rien de mieux qu’une lettre anonyme pour faire tenir une enquête.

H comme Hollande

Le futur président de la République se fend d’une tribune sur Slate.fr, le 29 mai 2009: « Coupat libéré: la claque de Tarnac ». Comme toutes les tribunes et les articles de presse, elle est cotée au dossier :

« La démocratie doit se défendre, y compris contre ceux qui la contestent par leurs écrits, leur pharmacologie révolutionnaire et, a fortiori, contre ceux qui veulent la « bloquer ». Mais elle doit le faire dans le respect du droit et des libertés, sinon elle donne des armes de propagande à ses ennemis. Pour lutter contre le terrorisme, il convient de l’identifier, de l’encercler et de l’éradiquer. Ce qui suppose la vigilance permanente et non la suspicion générale. »

Ça, c’était avant. Tout comme cette intervention à l’Assemblée, à la même période (lien ici).

I comme IED

Comment relier, coûte que coûte, à une affaire en cours une information tellement ancienne qu’elle est invérifiable ? La SDAT essaie, mais ne réussit pas toujours. Début 2012, elle doit travailler sur les informations envoyés par les services de renseignement britanniques, dans le cadre d’une commission rogatoire internationale (voir épisode 7):

« Les services de police du Royaume-Uni sont en mesure de confirmer que des informations sont disponibles attestant que Julien Coupat a assisté à une réunion à Nancy, France, le 25 février 2008. Plus tard dans la même journée la réunion s’est poursuivie dans un lieu sis dans le village de Moussey, France. Lors de ces réunions la confection d’engins explosifs improvisés (IED) ont fait l’objet de discussions et de travaux pratiques. Assistaient également à ces réunions en France S. [toujours la même militante allemande] et Gabrielle H.. La source de ces informations confidentielles ne sera jamais divulguée et aucun rapport formel ne sera communiqué. »

On sait aujourd’hui que la « source de ces informations confidentielles » est en fait le policier infiltré Mark Kennedy/Stone. Le 14 mai 2012, les policiers doivent faire le job, et tentent de localiser « Moussey ». Plus compliqué qu’on ne pourrait le croire :

« Vu les investigations opérées dans la présente enquête ayant permis de déterminer que trois villages nommés Moussey sont susceptibles de correspondre à celui énoncé au sein de ce soit-transmis, à savoir Moussey (Aube), situé au sud de la ville de Troyes, Moussey (Moselle) situé à l’est-sud est de la ville de Nancy et Moussey (Vosges), situé à l’est de Nancy.

Vu les recherches opérées auprès des brigades de la gendarmerie nationale territorialement compétentes pour chacune des trois communes visées supra, n’ayant permis de relever aucun élément susceptible d’intéresser la présente enquête.

Vu les recherches opérées auprès des bureaux de la conservation des hypothèques ayant amené à la communication des données cadastrales relatives aux individus résidant dans chacune de ces communes.

Vu les recherches opérées auprès de la société ERDF ayant amené à la communication des abonnés au réseau de l’électricité résidant sur chacune de ces trois communes, procédons à l’examen des données transmises par les sociétés ERDF et la conservation des hypothèques et constatons que parmi les identités communiquées, aucune ne paraît avoir de lien avec des individus cités, mis en cause ou mis en examen au cours de la présente enquête. »

« Plusieurs hypothèses peuvent ainsi expliquer ce déplacement »

Aucun lien, donc. L’information serait-elle tout simplement fausse ? La SDAT va-t-elle abandonner ? Non, car il y a Mappy :

« Mettons cependant en évidence, à l’issue de nos investigations, les éléments suivants :

*le village de Moussey (Moselle) et de Moussey (Vosges), sont distant respectivement de quarante-cinq et de soixante-huit kilomètres de la villede Nancy,

*le village de Moussey implanté dans l’Aube est distant pour sa part de cent soixante kilomètres de la ville de Nancy, D’autre part, les villages de Moussey (Moselle) et de Moussey (Vosges) sont distants respectivement de vingt-sept et vingt-et-un kilomètres de Baccarat (Meurthe-et-Moselle), commune du domicile de la nommée MM, mère de Gabrielle H.. Le village de Moussey (Aube) est, quant à lui, distant de cent quatre vingt-dix kilomètres de Baccarat.

Enfin, indiquons que Moussey (Moselle) est distant de cinquante kilomètres du village de Vigny (Moselle), commune sur le territoire de laquelle, au cours de la nuit du 25 au 26 octobre 2008, plus précisément entre 21h22 et 6h33 un crochet métallique a été déposé sur la ligne TGV-Est sens Paris-Strasbourg.

Le village de Moussey (Vosges) est pour sa part distant de quatre-vingt deux kilomètres de Vigny, et celui de Moussey (Aube) distant de cent soixante kilomètres de cette commune.

La proximité géographique des communes de Moussey (Vosges) et plus encore de Moussey (Moselle) avec le domicile de la mère de Gabrielle H., avec la ville de Nancy, ainsi qu’avec le lieu du sabotage de Vigny, met en évidence que cette dernière commune est susceptible de correspondre à celle de Moussey citée par les autorités britanniques.

Rappelons en outre que le courrier de revendication des dégradations des 25 octobre et 7 novembre 2008, reçu le 10 novembre 2008 par le quotidien allemand Berliner Zeitung et posté le 9 novembre 2008 de Hanovre (Allemagne), était signé « en souvenir de Sébastian », en référence au décès du nommé Sébastien Briat, survenu lors du passage d’un transport Castor en 2004 auquel celui-ci s’opposait.  A ce titre, précisons que les recherches opérées auprès de la documentation spécialisée du service et de la gendarmerie nationale font apparaître:

*Que le nommé Sébastien Briat a trouvé à la mort le 7 novembre 2004, soit quatre ans avant les faits de dégradations des lignes à grande vitesse objets de nos investigations,

*Que Sébastien Briat a été percuté par le train de matières nucléaires Castor alors que celui-ci circulait à Avricourt, commune limitrophe de Moussey (Moselle), située à trois kilomètres de cette dernière en empruntant la RD40.

*Que les individus ayant participé aux côtés de Sébastien Briat à l’action de blocage du train Castor au cours de laquelle il avait trouvé la mort, avaient précisé aux enquêteurs que cette action avait fait l’objet de réunions préparatoires s’étant tenues à Nancy.

L’ensemble de ces éléments met donc en évidence que le village de Moussey cité par les autorités britanniques est susceptible de correspondre à celui de Moussey (Moselle), non seulement en raison de son implantation géographique mais également au regard des éléments de faits le mettant en relation, à divers titres, avec des données de la présente enquête. Plusieurs hypothèses peuvent ainsi expliquer ce déplacement de Julien Coupat, Sandra G. et Gabrielle H. à Moussey (Moselle), ceux-ci ayant pu se rendre sur les lieux du décès d’un membre de la mouvance anarchiste survenu au cours d’une action « militante », ou procéder à des repérages sur les lieux de ce décès dans l’hypothèse d’une action commémorative à venir commune entre militants autonomes français et allemands, celle-ci ayant pu se dérouler quatre ans jour pour jour après le décès de l’intéressé sur les lieux de ce décès. »

Le lien fait entre le domicile de la mère d’une mis en examen, le lieu d’un sabotage dont l’auteur n’a pu être formellement identifié, la mort d’un militant antinucléaire en 2004, une lettre de revendication anonyme est époustouflante. Mais les hypothèses, c’est un peu la spécialité de l’affaire de Tarnac.

J comme journaliste

Ils sont partout dans le dossier : les journalistes. Il y a Alain Hamon, auditionné dans les jours qui suivent la fin des gardes à vue, le 26 novembre 2008, parce qu’il a assuré dans un article du JDD qu’un « carnet noir » n’a pas été repéré par les policiers à Tarnac, avec une liste d’« emplettes » qui comprend des fers à béton. Une nouvelle perquisition ne donnera rien.

Et puis, en 2009, avec la surveillance accrue qui pèse sur les soutiens, il y a les journalistes qui apparaissent au détour d’une filature, de facturations détaillées. Au moins une fois, les policiers montrent leur intérêt ouvertement, le 12 mars 2009 :

« A 10 heures [Benjamin R. et J.] quittent la rame de la ligne 6 à la station Corvisart et sortent de la station de métro. Ils empruntent alors à pieds le boulevard Auguste Blanqui à Paris (13e) en direction de la place Denfert-Rochereau.

Parvenus devant le numéro 101 du boulevard Auguste Blanqui, soit en face de l’immeuble portant le numéro 80, et siège du quotidien Le Monde, les deux individus s’arrêtent quelques minutes sur le trottoir. Ils repartent ensuite en sens inverse sur le boulevard en direction de Corvisart et pénètrent dans un débit de boissons à l’enseigne Le Havana sis 70, boulevard Auguste-Blanqui, il est 10h15.

Constatons qu’à l’intérieur de l’établissement J. et Benjamin R. entrent en contact avec deux femmes de type européen. (…) A 10h40, Benjamin R. quitte le débit de boissons et opère un retrait d’espèces au distributeur automatique de billets de la BNP sis 101, boulevard Auguste-Blanqui, avant de regagner le débit de boissons.

A 11h20, J., Benjamin R. et les deux jeunes femmes quittent le débit de boissons et  s’engagent à pied dans le boulevard Auguste-Blanqui en direction du numéro 80. Parvenus devant le siège du quotidien Le Monde, les deux jeunes femmes y pénètrent alors que Benjamin R. et J. font demi-tour. »

Les « deux jeunes femmes » sont journalistes au Monde

Les « deux jeunes femmes » sont journalistes au Monde. Elles sont dûment photographiées, le tout est coté au dossier. On sent les policiers de la SDAT gênés aux entournures : qu’elles soient journalistes est une évidence, puisqu’elles rentrent dans l’immeuble du journal (de toutes façons, il est extrêmement probable qu’ils sachent qui elles sont). Mais elles restent dans le PV « deux jeunes femmes ». Et sur les photos (quatre pour l’une, deux pour l’autre), pas de code du type Xf43 ou Xf44, comme il est d’usage lorsqu’une personne inconnue au dossier apparaît lors d’une surveillance. Celles-là, on ne cherchera pas à les identifier.

Combien de contacts, de conversations et donc de journalistes, écoutés, surveillés, sans que ce soit coté, juste pour connaître le prochain coup de l’équipe adverse ?

K comme Kurdes

C’est l’autre grand combat du juge Fragnoli : les dossiers de filières de financement du PKK ou d’autres partis et mouvements combattants en Turquie pour la cause kurde. Alors, à quelques reprises, le magistrat s’emmêle les dossiers. Et un document en turc vient s’inviter dans le dossier de Tarnac.

M comme minutages

C’est l’une des « hypothèses » de la SDAT : lors du week-end du 25 au 26 octobre 2008, Julien Coupat et Gabrielle H. sont allés chez les parents de cette dernière, à Baccarat, pour commettre un premier sabotage à 70 km de là, à Vigny (Moselle) (voir épisode 12).

Le 2 décembre 2009, le juge demande donc aux policiers de « bien vouloir faire vérifier la distance, par la voie routière la plus directe et rapide, ainsi que le minutage, entre le domicile de Baccarat des parents de Mme Gabrielle H. et le lieu des faits de dégradations, et ce dans les mêmes conditions météo et de circulation probable que ceux de la nuit des faits ».

« Les nommés Gabrielle H. et Julien Coupat ont matériellement pu se rendre sur la commune de Vigny afin d’y perpétrer un sabotage »

Le problème, c’est de minuter alors que personne, ni la mère de Gabrielle H., ni les deux mis en examen, n’ont jamais pu dire précisément combien de temps ils ont quitté le domicile des parents pour se promener, dans la soirée du 25 octobre.

« Vu les recherches effectuées concernant la distance séparant le domicile des parents H. à Baccarat (Moselle) et le lieu du sabotage commis dans la nuit du 26 au 27 octobre 2008 ainsi que le minutage pour se rendre d’un point à l’autre ayant permis de déterminer que 104 km séparent ces deux points et qu’il faut dans des conditions similaires au niveau horaire et dégradées d’un point de vue météorologiques par rapport à celle de la nuit du sabotages trois heures afin d’opérer un aller-retour entre les deux points avec 20 minutes d’arrêt sur la zone de sabotage,

Vu le rapport d’expertise en date du 25 novembre 2009 établissant que la pose au sens stricte du crochet sur la caténaire se fait en environ une minute, (…)

Comme évoqués supra, les faits de sabotages ont été commis dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008, plus précisément entre 21h22 et 6h33, Concernant Gabrielle H. et Julien Coupat, en s’en tenant strictement aux déclarations des mis en cause ou de leurs parents il ressort, qu’au plus court, ceux-ci ont quitté le domicile des parents H. aux alentours de 00h00 le 26 octobre 2008 pour une durée de « deux ou trois heures » selon MH étant précisé que Gabrielle H. décrit sa « sortie nocturne » comme étant beaucoup plus longue celle-ci déclarant qu’elle et Julien Coupat ont quitté le domicile des parents à 21 h 00 pour y revenir vers « deux ou trois heures ».

Or, rappelons que le minutage en temps réel réalisé le 11 février 2010 entre le domicile des parents de Gabrielle H. et le lieu des sabotages situé sur la commune de Vigny (Moselle) dans des conditions météorologiques dégradées par rapport à la nuit des faits mais dans des conditions horaires similaires a permis de déterminer qu’en quittant le domicile des parents à 00h00 une circulation à une vitesse inférieure à celle autorisée avec un arrêt de 20 minutes sur la zone de sabotage permet d’être de retour au domicile des parents H. à 2 heures 59 soit 2 heures 39 de trajet.

Dès lors, il ressort de l’analyse de l’ensemble des éléments évoqués supra que les nommés Gabrielle H. et Julien Coupat ont matériellement pu se rendre dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 sur la commune de Vigny afin d’y perpétrer un sabotage par apposition de crochet métallique. »

Encore une hypothèse, encore un « possible ».


Article original par Laurent Borredon publié le 06/08/2014

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#47

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat et huit de ses amis, sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Pendant cinq ans et demi, la SDAT a mené l'enquête, d'abord sous l'autorité du juge Thierry Fragnoli puis de Jeanne Duyé.

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#49

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat et huit de ses amis, ont été mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Pendant cinq ans et demi, la SDAT a mené l'enquête, d'abord sous l'autorité du juge Thierry Fragnoli puis de Jeanne Duyé. Début 2014, l'instruction s'achève.

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