Avec Edmond Brunaud, ça ne rigole pas. Ce 7 décembre 2010, le juge d’instruction prend pour la deuxième fois* le relais de son collègue Thierry Fragnoli, qui s’était jusqu’ici réservé les interrogatoires de Julien Coupat et Yildune Lévy. Avec Julien Coupat, il veut aborder la nuit du 7 au 8 novembre 2008, un peu, mais surtout les retours de commissions rogatoires internationales, qui ont recherché la trace d’une conspiration internationale. Le mis en examen est notamment accompagné de Me Jérémie Assous, « avocat de la télé-réalité » devenu le poil à gratter de l’instruction de Tarnac. Côté réponses, l’interrogatoire tourne court:
Question du juge : Depuis le dernier interrogatoire du 18 février 2010* divers éléments sont rentrés en procédure sur lesquels j’ai des questions à poser et qui vont nous conduire à revenir sur certains éléments du dossier, certains aspects au sujet des questions vous ont déjà été posées mais qu’il convient de reprendre à la lumière des pièces d’exécution partielle de la commission rogatoire en cours et qui ont intégrées le dossier depuis le 18 février 2010. Je commencerais par un témoignage qui a été recueilli le 8 juin 2010 celui du gérant de la pizzeria (…). Je rappelle qu’avec Yildune Lévy vous vous êtes arrêtés pour dîner le 7 novembre 2008 entre 21h30 et 22h35 dans cet établissement. Ce témoin, explique dans un premier temps, qu’il se souvient bien de ce compte car notamment le vendredi soir il y a peu de clients. Vous souvenez vous de ce moment là ?
Réponse : Je ne comprends pas comment commence votre interrogatoire. Je vais vous dire quelque chose puisque vous avez préparé manifestement quelque chose. Je n’avais pas compris que l’interrogatoire avait commencé, vu la manière brusque dont vous êtes entré en matière.
Attendu que la mise en situation promise par le juge depuis près d’un an n’a toujours pas eu lieu ;
Attendu que cette mise en situation est à ce jour le seul acte potentiellement à décharge concédé à la défense et que cet acte, pour peu qu’il soit effectué aux conditions requises par la défense, est le plus à même de faire avancer cette instruction vers la manifestation, sinon de la vérité, du moins d’un début d’impartialité ;
Attendu que votre collègue, le juge Thiel lui même, n’a pas craint de déclarer que l’affaire dite de « Tarnac », ne relève bien entendu pas du terrorisme et que vous n’avez, en tout bon sens, pas à en connaître ;
Attendu en outre, que votre autre collègue, le juge Trévidic, éclate de rire quand on lui demande s’il y a une menace d’ultra gauche, en ce moment, en France ;
Attendu que seule la plate soumission de la justice aux nécessités politiques du moment, peut expliquer votre acharnement à poursuivre cette instruction, à nous maintenir sous votre coupe, à nous surveiller continûment et à continuer de me convoquer pour m’interroger sur des peccadilles auxquelles j’ai, au reste, déjà répondu, et ce plus de deux ans après les faits que vous tentez de nous imputer ;
Attendu pour finir que vous en êtes réduits pour maintenir une illusion d’instruction à verser au dossier au mépris de tout droit de la défense, des pièces d’écoutes, des constats, des expertises qui datent de plus d’un an et n’apportent absolument rien de nouveau à votre thèse qui ne repose que sur l’imagination policière, à joindre à celle ci d’autres procédures indépendantes de la nôtre et que vous allez jusqu’à verser au dossier, des photos de nos avocats, vous ne pouvez plus décemment compter que je réponde encore à vos questions superflues.
Mention du juge : Nous n’avons aucun commentaire à faire sur ces déclarations, exceptées de vous renvoyez aux arrêts dernièrement rendus par la chambre d’instruction. Dois-je comprendre que vous refusez de répondre à mes questions ce jour?
Réponse : Absolument.
Mention du juge: Mon collègue, Thierry Fragnoli, a donné l’assurance qu’il y aurait une mise en situation et je reprends maintenant le déroulement de mon acte, quitte à vous à me dire si vous souhaitez que je mette la mention « garde le silence ».
Réponse : Je souhaite que soit indiqué « garde le silence ».
« On ne retrouve pas particulièrement l’ambiance paisible qui aurait dû entourer ce moment »
Au fond, peu importe les réponses. Le juge continue donc sur le début de soirée du 7 novembre 2008. La SDAT s’est réveillée avec retard sur ce sujet: elle n’a enquêté qu’en juin 2010. En général, une armée de journalistes, voire la famille des mis en examen étaient passés avant les policiers…
Question du juge : [Le gérant de la pizzeria] a noté que vous aviez l’air très fatigués, il parle de vous deux, que vous aviez l’air pressés, que vous aviez l’air très tendus regardant souvent par la fenêtre et que l’homme lui avait demandé s’il y avait des hôtels dans le coin. Nous le citons: « Oui, je me rappelle bien que ces deux personnes se sont présentées vers cette heure-là, car c’était la fin de service. Je ne me souviens plus de leurs tenues vestimentaires exactes, je ne sais pas non plus comment ils sont arrivés jusqu’à la pizzeria. Je ne me souviens pas s’ils portaient ou non un sac. Je ne les ai pas vus arriver mais j’ai constaté leur présence lorsqu’ils se sont installés à table, ils se trouvaient à la table numéro 1, qui est juste à droite en entrant dans la salle du restaurant et depuis laquelle une fenêtre donne sur la RN3. Je crois me souvenir qu’ils ont commandé deux pizzas. Je ne me souviens plus s’ils ont bu quelque chose ou non. Ils avaient l’air très fatigués. Une fois attablé, l’homme a voulu allumer un cigare dans la pièce, mais je lui dis que c’était interdit. Il n’a rien dit. Ils ont mangé assez rapidement, ils n’ont pas pris de dessert ni de café. Ils avaient l’air pressés ce qui est assez inhabituel, car souvent les clients en soirée ont le temps de dîner calmement. A la fin du dîner, ils se sont levés de table et sont allés au bar pour régler leur dîner. C’est l’homme qui a payé en espèces. Alors que j’encaissais son règlement, l’homme m’a demandé s’il y avait des hôtels dans le coin. Je lui ai répondu qu’il pouvait aller demander à l’hôtel Accostel s’il leur restait des chambres. Je vous précise que c’est l’hôtel qui est situé en direction de Meaux après le pont de la Marne, sur la gauche. Il ne m’a pas demandé le prix des chambres. La jeune fille n’a pas parlé. Ensuite le couple est reparti, je ne les ai pas suivis du regard. Je ne me souviens plus exactement de l’heure mais il devait être aux alentours de 22 h 30. » Que pensez vous de ce témoignage et êtes vous d’accord avec ce que déclare ce témoin, pour une sortie qui était plus tôt présentée comme une « sortie en amoureux » pour reprendre les termes de Yildune Lévy tant lors de la garde à vue que devant Thierry Fragnoli, on ne retrouve pas particulièrement l’ambiance paisible qui aurait dû entourer ce moment ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Mention du juge: Demandons au mis en examen de se tenir droit sur la chaise.
Réponse : (silence). Le mis en examen ne change pas d’attitude.
Mention du juge: Indiquons au mis en examen que son attitude ne nous empêchera pas de poursuivre.
Question du juge : Les enquêteurs ont demandé ensuite à ce témoin ceci : « Avez-vous remarqué au cours de vos échanges avec ce couple un comportement particulier de leur part? » Ce à quoi il répond « Oui, ils avaient l’air très fatigués, et ils avaient le visage sale, un peu noirci et les traits tirés. J’ai même fait la remarque à la serveuse en lui disant « Quelles têtes ils ont ! ». En plus ils avaient l’air très tendus, ils regardaient souvent par la fenêtre, mais je ne sais pas ce qu’ils regardaient. Je vous précise que depuis la fenêtre il ne règne pas une grosse animation lorsque l’on regarde la rue. Il y a peu de voitures qui passent, et il y a que très peu de piétons. » Pour quel motif pouviez-vous être tendus et pourquoi regarder souvent par la fenêtre donnant justement sur la route RN3 ? Quand on lit ce témoignage, on a l’impression que vous surveillez quelque chose. Était-ce le cas ou vous sentiez vous épiés, ou bien était ce pour vous assurer que vous n’étiez pas suivis ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Question du juge : Toujours sur ce week-end , Yildune Lévy lorsqu’elle a relaté à mon collègue le déroulement de ces 7 et 8 novembre 2008, elle a indiqué que dans l’après midi, après avoir déjeuner dans une brasserie, je la cite : »On a pris la direction de l’est. On ne savait pas exactement où on allait aller. On ne voulait pas aller trop loin de Paris, mais suffisamment pour être à la campagne, dans des endroits où on trouverait peut être des hôtels pas trop chers. Je me souviens avoir somnolé par moment parce que j’étais fatiguée de ma semaine d’étude. Je sais qu’on s’est arrêté à un moment dans un magasin de type bazar mais je ne peux pas vous dire où c’était exactement et j’en ai profité pour m’acheter un sac à dos parce que le mien était usé ». Vous souviendriez vous de l’endroit où se situerait le centre commercial évoqué par votre Yildune Levy ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
« Il y a là une divergence entre les déclarations de Yildune Lévy et cette personne »
Le juge en vient ensuite à une terrible contradiction entre les déclarations d’Yildune Lévy et celles de la gérante d’un routier :
Question du juge : Je vous indique aussi que la gérante du relais routier Le Mouflon d’Or a été entendue (…). Elle se souvient vaguement de cette soirée là et conteste avoir indiqué au couple qui se présentait que tous les relais routier du coin étaient complets car elle ne donne jamais ce type d’informations. « Nous vous livrons les déclarations de Yildune Lévy, recueillies au cours de son interrogatoire en date du 8 janvier 2009, concernant la soirée du 7 novembre 2008: « A un moment, je me souviens qu’on est rentré dans ce que je pense être un hôtel de routier, ils étaient complets. Il faisait nuit mais je ne me rappelle plus si c’était avant ou après manger. L’hôtelier nous a dit que lui et tous les autres relais routiers qu’il connaissait étaient complets. » Il est donc demandé à cette dame si elle se souvient de la conversation dont a fait part ici Yildune Lévy. Ce à quoi elle répond: « Je ne sais pas pourquoi cette personne vous a dit que je leur avais indiqué que d’autres relais-routiers étaient complets. Je dois vous dire que je ne connais aucun autre relais-routier, et que je ne peux m’informer sur leur taux de remplissage. Ces propos ne sont donc pas conformes à ce que j’ai dit à ce couple ce soir là. Je suis formelle sur ce point, d’autant plus que selon moi la plupart des relais-routiers ne font pas hôtel et que le vendredi soir, à mon avis, la plupart sont fermés car ils ne font donc que restaurant. Nous n’avons d’ailleurs aucun contact avec d’autres relais-routiers. En plus je vous rappelle que cette jeune fille ne m’a pas parlé ce soir-là, ce n’est que le garçon. » Il y a là une divergence entre les déclarations de Yildune Lévy et cette personne. Comment expliquez-vous cela ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
« De quel livre s’agit-il dont vous seriez l’auteur et qu’elle désirait recevoir ? »
Le juge en arrive aux commissions rogatoires internationales. L’une a concerné une certaine SK, ancienne jeune fille au pair chez les Coupat quand Julien était adolescent.
Question du juge : Lors de la perquisition opérée le 11 novembre 2008 au (…) à Tarnac, une lettre était découverte dans son enveloppe, lettre qui vous était adressée datée du 12 novembre 2007. Cette lettre avait été expédiée par SK, domiciliée (…) en Autriche. Cette lettre était également en votre possession lors de votre passage clandestin de la frontière américano-canadienne puisque les autorités canadiennes nous la transmettaient également en photocopie. Pourquoi avoir cette lettre de SK sur vous alors que vous étiez à l’étranger ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Question du juge : La lecture de cette lettre, traduite en français à partir de la version en allemand, semblait indiquer que sa rédactrice vous connaissait bien et avait eu avec vous des discussions sur l’utilisation de la violence qu’elle considérait comme inadmissible, ce qui semblait être un point de désaccord (…). Il est fait également allusion dans ce courrier à un livre que cette dame souhaitait recevoir afin de connaître vos idées et de savoir à quoi ressemblait votre idéal. Cette dame a été entendue dans le cadre d’une commission rogatoire internationale. Elle confirme être l’auteur de cette lettre que nous vous montrons en photocopie. Elle explique qu’elle connaît le livre L’Insurrection qui vient par Internet. Qu’au cours du dîner chez vos parents, il y a eu une conversation sur un livre mais elle ne se souvient pas précisément. Elle ajoute toutefois: « Je voudrais préciser, que dans ma lettre à Julien Coupat, je n’ai pas parlé de ce livre. Je voulais qu’il m’adresse un livre qui, à ma connaissance avait été écrit par lui. Mais je ne peux pas en donner le titre exact. C’est seulement que pendant le dîner, il avait été mentionné que Julien Coupat avait écrit un livre. » De quel livre s’agit-il dont vous seriez l’auteur et qu’elle désirait recevoir ?
Réponse: Le mis en examen garde le silence.
« Spontanément Monsieur Coupat prononce les sons : « ah ah ah » »
Ensuite, c’est un vrai revenant de notre feuilleton qui s’invite dans l’interrogatoire. H., un chercheur américain proche de la «mouvance anarcho-autonome», ciblé par le policier infiltré anglais Mark Kennedy/Stone (voir épisode 7).
Question du juge: Que pouvez vous me dire au sujet d’H. qui apparaissait sur des photographies, clichés issus de l’exploitation d’une carte mémoire de l’appareil numérique Canon saisi au domicile de Yildune Lévy ?
Réponse : Le mis en examen regarde la photographie et garde le silence.
Question du juge : H. a été entendu dans le cadre d’une commission rogatoire destinée aux autorités compétentes du Royaume Uni. Selon les autorités britanniques il serait connu dans la mouvance anarcho-autonome agissant en Grande Bretagne.
Spontanément Monsieur Coupat prononce les sons : « ah ah ah ».
Question du juge: Il a expliqué s’être rendu à Tarnac à l’automne 2007 pour discuter d’un livre intitulé L’Hypothèse cybernétique dont il pense que les auteurs se trouvent à Tarnac et qu’il s’agit d’un ouvrage collectif. Il indique vous avoir rencontré d’abord à Paris mais que lorsqu’il s’est rendu à Tarnac vous étiez absent. De quel livre s’agit il selon vous et quel était l’objet du rendez vous à Paris ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Question du juge : Il déclare vous avoir aussi rencontré à New York en janvier 2008. Est-ce le cas et dans quel cadre et pour quel motif ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Question du juge : La lettre de SK a t elle un lien avec cette rencontre?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
« Et puis cette idée de saboter des voies de chemin de fer, on la retrouve aussi… »
L’Hypothèse cybernétique était dans le numéro deux de la revue Tiqqun, parue en 2001. Les livres, les magazines, les brochures. Retrouvés à Tarnac ou ailleurs, ils sont la base du dossier:
Question du juge : Comprenez que l’on puisse s’interroger sur votre implication dans ce sabotage dont l’idée elle même se trouve notamment dans certains ouvrages saisis lors de la perquisition (…) à Tarnac , comme par exemple le livre intitulé Autonome in Bewegung, ouvrage dans lequel on retrouve la description du même mode opératoire de sabotage de voies ferrés concernant l’utilisation de crochets métalliques posés sur les caténaires lors des transports Castor de 1995 et 1996, mais aussi lors des actions menées conjointement sur le réseaux ferroviaires français dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 et au sabotage commis dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 ? Cet ouvrage désigne le rail comme une cible un objectif et évoque l’utilisation de crochets similaires à ceux utilisés en France sur les faits du présent dossier. Certes, vous avez expliqué mon collègue que votre niveau d’allemand ne vous permettait pas de lire ce livre et que le chapitre en question vous ne l’aviez pas lu. Ne pensez vous pas que l’on puisse s’interroger sur ce livre qui aurait pu servir le cas échéant d’une source d’inspiration au regard des faits dont nous sommes saisis ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Question du juge : Et puis cette idée de saboter des voies de chemin de fer, on la retrouve aussi dans un document, en l’espèce une brochure de couverture rose pale titrée Incendo, le journal qui brûle d’en découdre numéro 2 de mai 2008 sous titrée « Pas de retraite A l’attaque », revue découverte au domicile de Yildune Lévy. Il y est en outre expliqué qu’au « vu de la multiplication des lignes à grande vitesse sur lesquelles se concentrent des flux de passagers de plus en plus importants, des actes de sabotages sur ce type de lignes, très performantes mais aussi très fragiles, entraînent immédiatement une paralysie d’une large partie du réseau et des pertes de thunes incroyables ». Que penser de ce document qui précède de quelques mois des actions qui se concrétiseront à l’encontre de plusieurs lignes de TGV ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
« Connaissez-vous, vous qui avez des contacts en Italie, cet ouvrage-là ? »
Mais cette-fois, même les ouvrages retrouvés avec des connaissances vont devenir incriminants:
Question du juge : FF qui a déclaré qu’il était un de vos amis et qui manifestement connaissait Yildune Lévy puisqu’il avait dans son répertoire téléphonique le numéro de portable de Yildune. Il a été vu à vos côtés place du Président-Herriot lors d’une manifestation contre le fichier « Edvige » le 16 octobre 2008 [voir épisode 11]. Il a été interpellé avec IM le 23 janvier 2008 dans un véhicule alors qu’ils se rendaient dans la Creuse. Outre divers éléments pouvant entrer dans la composition d’engins incendiaires, ils avaient aussi un ouvrage en italien intitulé : A ciascuno il suo. 1000 modi per sabotare questo mondo (en français : « 1000 façons de saboter ce monde ») constituant un véritable bréviaire des techniques de sabotage et un ouvrage de référence dans ce domaine, au sein de la mouvance anarcho-autonome. Le manuel est découpé en quatre grands chapitres:
– Le premier chapitre expose les précautions à prendre afin d’ »éviter de, fournir le moindre indice pouvant servir de preuve et, faire que nous soyons retenus comme coupables ». Le ou les auteurs passent alors en revue toutes les situations « à risque » et donnent toutes les astuces afin d’être le plus discret possible : repérer les caméras de surveillance, éviter les outils de communications tels que les ordinateurs, les téléphones portables, ne rien détenir de compromettant chez soi et sur soi, écouter les communications (le la police, effectuer des repérages avant de passer à l’action, nettoyer les lieux après avoir commis un acte répréhensible. Les conseils donnés sont très précis, ainsi par exemple, il est ainsi indiqué qu’en cas d’arrestation il faut « décliner son identité et demander un avocat et surtout ne pas répondre aux questions ».
– Le deuxième chapitre traite des moyens d’actions. Ils sont selon l’ouvrage de tous types et de tous ordres : boules puantes pour interrompre une réunion, sabotage d’ordinateur ou de distributeurs bancaires avec des liquides dégradations de véhicules par insertion d’abrasif, libération d’animaux des laboratoires, blocage des artères du pouvoir en sabotant les lignes électriques, les lignes de communications et les réseaux ferroviaires. S’agit-il d’une simple coïncidence et connaissez-vous, vous qui avez des contacts en Italie, cet ouvrage-là ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Le raisonnement est donc: FF connaît Julien Coupat=>FF est arrêté avec un livre évoquant des sabotages (notamment par boules puantes)=>le livre est écrit en italien=>Julien Coupat connaît des Italiens=>le livre est lié à Julien Coupat.
« Connaissez-vous ces personnes que vous auriez pu le cas échéant rencontrer en Italie notamment lors de la rencontre de Thessalonique ? »
Mais le juge ne s’arrête pas là. Et une interpellation de deux hommes italiens, que l’enquête n’est pas parvenu à relier à Julien Coupat, devient aussi un élément de « coïncidence »: ils se préparaient à saboter grâce à ce livre… que Julien Coupat n’a jamais eu en sa possession.
Question du juge : Le 27 mars 2008, à 1 heure du matin, à Caldare (Italie), le long de la route départementale 51, une patrouille des carabiniers procédait au contrôle d’un véhicule (…) volé deux jours auparavant à Pérouse (Italie) et occupé par deux individus: SS et AS. Après leurs interpellations pour vol de véhicule, la fouille effectuée à l’intérieur de ce véhicule permettait la découverte, notamment, de quatre crochets métalliques fabriqués artisanalement au moyen de fers à béton de quinze centimètres de diamètre, emballés avec du papier journal et du ruban adhésif, ainsi que de deux cannes à pêche. Interpellé sur cette découverte, AS en revendiquait la possession. Il convient de préciser que les intéressés se trouvaient lors de cette interpellation, à proximité de la voie ferroviaire italienne reliant les villes de Orte et de Ancône. Les investigations subséquentes démontraient cependant que ces crochets avaient été réalisés artisanalement conformément aux instructions figurant à la page 110 du bréviaire anarcho-insurrectionnel intitulé Pour chacun ses goûts. 1000 façons de saboter ce monde, ce moyen étant envisagé dans cet ouvrage, au sein d’un chapitre consacré aux trains et chemins de fer, comme l’un de ceux destinés à interrompre le trafic ferroviaire. Au sein de ce chapitre était également souligné que la meilleure façon de fixer ces crochets en fer sur les caténaires est de se placer, au dessus de la voie ferrée, au niveau d’un pont ou d’un tunnel et d’utiliser une canne à pêche munie d’un fil en nylon, à l’extrémité duquel est attaché le crochet. Ces éléments étaient de nature à indiquer que SS et AS s’apprêtaient lors de leur interpellation « fortuite » à déposer ces crochets sur les caténaires de la voie ferroviaire Orte-Ancône afin de la saboter. Connaissez-vous ces personnes que vous auriez pu le cas échéant rencontrer en Italie notamment lors de la rencontre de Thessalonique ?
Le lecteur attentif aura noté que Thessalonique est en Grèce, mais c’est un détail. Le magistrat insiste:
Question du juge : Je vous rappelle à ce sujet que lors d’une communication téléphonique entre vous et Gabrielle H. en date du 13 septembre 2008, elle vous demandait si vous aviez vu « les amis » étant précisé que vous rentrez de Thessalonique où s’est tenue une réunion décrite notamment par CA ? Pouvez-vous me dire de quels amis il est question, pour Gabrielle H., elle-même n’ayant pas voulu donner de précisions à leur sujet ?
« Reconnaissez-vous cet homme ?
La « piste italienne » a été bien labourée. L’interrogatoire continue sur ce thème:
Question du juge : Reconnaissez-vous cet homme dont plusieurs photographies figurant en cote (…) si oui quelles relations avez-vous avec lui ?
Réponse : Le mis en examen regarde les photos et garde le silence.
Question du juge : Cet homme a été vu en votre compagnie notamment au cours des surveillances opérées les 16 et 20 octobre 2008 dont nous vous montrons les clichés (…). Au terme des éléments transmis, il apparaissait que l’individu (…) s’identifie au nommé: VF, (…), nationalité italienne, (…), militant anarcho-insurrectionnel italien, membre du groupe anarchiste violent italien « Collettivo Epicurei d’Assalto » (« Collectif épicurien d’assault »), et membre des centres sociaux « Malamanera Bovisa Squat » et « Kasa », sis à Milan. Il est connu de la documentation du ROS des carabiniers de Rome (Italie) pour avoir participé au cours des dernières années à plusieurs manifestations de militants d’extrême-gauche, à l’occasion desquelles il a été interpellé pour des faits de violences, vandalisme et vols. A ce titre, l’intéressé a été interpellé le 13 novembre 2009 et condamné à un an d’emprisonnement et trois mois de mise à l’épreuve pour vol. Il est le fils de MF (…), ex-membre de l’organisation terroriste révolutionnaire d’extrême-gauche italienne « Prima-Linéa » (Première Ligne), organisation fondée en 1976 ayant commis de nombreux vols à mains armés et ayant également été à l’origine de plusieurs assassinats dont celui du juge d’instruction Emilio Alessandrini, et de MA (…), ex-membre du groupuscule armé d’extrême-gauche italienne « Reparti Communisti d’Attaco », proche de l’organisation terroriste d’extrême-gauche italienne « Brigades Rouges », créée en 1978 en Lombardie, ayant visé plusieurs fonctionnaires employés au sein du système pénitentiaire italien, et dont les activités se sont arrêtées en 1980. Aviez-vous déjà connaissance de ces informations et pouvez-vous me préciser maintenant les liens que vous aviez avec lui ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
L’enquête avait commencé sur un rapprochement avec Action directe, maintenant, par les parents d’un homme que Julien Coupat connaît, arrivent les Brigades rouges… Ce n’est plus une instruction, c’est un cours d’histoire contemporaine. Il ne manque plus que la Fraction Armée Rouge allemande. Mais on en reste à l’Italie :
Question du juge : Ce lien avec l’Italie m’interpelle car je vous rappelle que la surveillance opérée le 30 juillet 2008 à la gare de Limoges, avait permis de constater la présence d’un individu, désigné comme étant « Xh14 », (…) se rendant depuis Limoges à Tarnac, puis fréquentant la société « Magasin Général » de cette localité. Les renseignements sollicités auprès des autorités italiennes, par le biais de l’officier de liaison italien en poste auprès de l’Unité de Coordination de la Lutte Anti-Terroriste avaient alors permis l’identification de cet homme à savoir MT, (…), de nationalité italienne, (…), connu des autorités italiennes en qualité de sympathisant de la mouvance anti-mondialisation, participant à de nombreuses manifestations organisées par la mouvance anarchiste vénitienne. Nous vous montrons la photographie d’identité en couleur de cet homme. Comment expliquez-vous la présence de cet homme au Goutailloux ?
Réponse : Le mis en examen regarde la photo et garde le silence.
Question du juge: Ce rapport à l’Italie m’interpelle aussi du fait de l’exploitation des différents répertoires téléphoniques de Gabrielle H. d’où ressortent les noms suivants : [suivent plusieurs noms de militants « de la mouvance anarcho-insurrectionnelle italienne »]. Connaissiez vous ce relationnel de Gabrielle H. ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
Question du juge : Lors de l’échange téléphonique que vous aviez avec elle et que l’on a rappelé aujourd’hui, échanges verbaux alors que vous rentriez à peine d’Italie, les amis auxquels Gabrielle H. fait référence sont-ils au nombre de cette liste ?
Réponse : Le mis en examen garde le silence.
C’est le dernier round, si l’on peut dire. Après cet exercice stérile, Julien Coupat ne sera plus interrogé de l’instruction, qui commence sérieusement à tourner en rond. Et la reconstitution tant réclamée va se révéler bien décevante.