C’est la petite phrase de trop. Celle qui est inutile au procès-verbal, mais qui montre à quel point les policiers sont encore sûrs d’eux, le 19 décembre 2008. Pourtant, le reflux a commencé. Le 2 décembre, les trois contrôlés de la Moselle, Gabrielle H., Manon G. et Benjamin R. ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le 9, Libération accorde la «une» à une «interview exclusive» de Benjamin R., l’épicier de Tarnac. Gros titre: «Nous ne sommes pas des terroristes». A peine un mois plus tôt, le journal avait titré: «Sabotage du réseau TGV. L’ultragauche déraille».
Depuis les interpellations, des actions de soutien ont eu lieu. La SDAT en tient un compte méticuleux. Ce 19 décembre, le capitaine AL réalise un procès-verbal de «synthèse des actions violentes commises à l’international en représailles aux interpellations réalisées en France le 11 novembre 2008». Au milieu, une phrase en gras, et soulignée:
«Ces événements permettent de mettre en lumière, s’il en était besoin, le caractère international dans lequel s’inscrit l’action de déstabilisation de l’Etat menée par le groupuscule formé autour du nommé Julien Coupat.»
«S’il en était besoin». Oui, un peu, quand même. Sinon, autant clore l’instruction et arrêter les frais, non? Alors le policier rassemble toutes les actions «pour lesquelles il a pu être formellement établi qu’elles avaient été commises en réaction au démantèlement le 11 novembre 2008 du groupe constitué autour du nommé Julien Coupat». Le procès-verbal mélange un peu les torchons et les serviettes, avec un «attentat à l’engin incendiaire visant les locaux de l’Agence France Presse à Athènes» le 3 décembre, des jets de boules de Noël remplies de peinture contre le consulat général de France à Hambourg, en Allemagne, le 5 décembre, ou l’«attaque de l’institut français d’Athènes par jet d’un cocktail Molotov dans le poste de sécurité du bâtiment», le 19 décembre.
Le policier relie les «événements» aux «déplacements avérés du nommé Julien Coupat préalablement à son interpellation (Etats-Unis, Canada, Italie, Allemagne, Grèce) afin de participer à des réunions d’activistes où à des manifestations en marge de grands événements de type G8 que ses relations également établies dans la présente enquête avec de nombreux activistes issus de différents pays d’Europe».
«La lettre « A » pour anarchie»
Chaque action fait l’objet d’un procès-verbal distinct, rédigé à partir des éléments donnés par les officiers de liaison français. A Hambourg, la terrible attaque aux boules de Noël «a été revendiquée le 9 décembre dernier dans un courrier posté de Hambourg et adressé au quotidien le Hamburger Morgenpost au sein duquel il était précisé que cette action avait été perpétrée « en solidarité avec les activistes incarcérés en France » exigeant la libération de « Julien Coupat, Benjamin R, Gabriel H, Manon G et Yildune L ».»
Une conclusion définitive en est tirée:
«Précisons que ces éléments permettent une nouvelle fois d’établir un lien formel entre le groupe constitué autour du nommé Julien Coupat et les activistes allemands comme l’a déjà démontré la concertation des actions de sabotage et de destruction par incendie ayant visé les voies ferrées françaises et allemandes dans la nuit du 7 au 8 avril 2008, concertation confirmée par la revendication unique pour toutes ces actions au sein d’un courrier adressé le 9 novembre 2008 au quotidien Berliner Zeitung.»
Pour l’Institut français d’Athènes, le policier qui assure la liaison «précise que lors de cette attaque très rapide le lanceur de cocktail Molotov a vraisemblablement été brûlé au niveau du visage avant que le groupe ne prenne la fuite à pieds après avoir inscrit sur le mur de l’institut à la bombe de peinture la lettre « A » pour anarchie ainsi que les mentions en langue française « Etincelle à Athènes, incendie à Paris, c’est l’insurrection qui vient » et « Grèce puis France, c’est l’Insurrection qui Vient ».»
«La conspiration des cellules de feu»
Pour l’Agence France-Presse dans la capitale grecque, l’attentat a été revendiqué par un groupe nommé «La conspiration des cellules de feu», qui a appelé un quotidien local en précisant «que cette action avait été commise en solidarité avec les interpellations réalisées en France». Problème, «La conspiration des cellules de feu» n’a pas vraiment attendu l’affaire de Tarnac pour agir. En moins d’un an, elle a attaqué plus d’une trentaine de distributeurs de billets ou de concessionnaires automobiles. Surtout, depuis le 6 décembre 2008, le pays est touché par une vague d’émeutes, liées à la crise et à la mort d’un adolescent, tué lors d’une intervention policière*. Mais les policiers français voient plus loin (là encore, en gras et souligné dans l’original):
«Enfin il convient de préciser qu’au mois de septembre 2008, cette même organisation a revendiqué l’attaque lancée, par une trentaine d’individus cagoulés, à coup de cocktails Molotov et de pierres, contre le Commissariat de Police du centre ville de Thessalonique (Grèce) alors même que la présente enquête a permis de démontrer que le nommé Julien Coupat se trouvait sur la commune de Thessalonique au cours de ce même mois de septembre afin de participer aux manifestations violentes organisées en marge de la 73e foire internationale de Thessalonique (FIT).»
Sur le voyage grec de septembre, on voit que le glissement est achevé: Julien Coupat est venu «afin de participer aux manifestations violentes». Les policiers n’ont toujours aucun élément sur le sujet, mais à force de l’avoir écrit, de PV en PV, c’est devenu un élément irréfutable, cité dès que nécessaire par le parquet.
Sinon, que s’est-il passé, le 19 décembre? Le juge des libertés et de la détention a estimé que la détention provisoire de Julien Coupat n’était pas «nécessaire à la manifestation de la vérité». Le procureur a fait appel.
*Le groupe est démantelé l’année suivante. Ses membres sont condamnés à des peines allant jusqu’à 37 ans de prison. Mais les enquêteurs français n’iront finalemen