Cela commence à 5h45, dans le 20e arrondissement de Paris. Il y a du beau monde, devant l’immeuble de brique et pierre: le patron de la division nationale de répression du terrorisme international (DNRTI) de la SDAT, quatre de ses policiers, et un «fonctionnaire de la DCRI». A 6 heures, le vice-procureur de la République arrive même en personne. Il est temps de passer à l’action. Ces six hommes et une femme sont là pour interpeller Yildune Lévy, 25 ans, étudiante en archéologie, visée par un mandat de recherche.
«Nous rendons au [x]ième étage porte de (…) face à l’ascenseur, où étant à 6 heures, toquons à l’huis, nos qualités déclinées et l’objet de notre visite énoncée, constatons que la porte nous est ouverte par une personne de sexe féminin nous déclarant se nommer X, pénétrons dans l’appartement de type F3, et dans la chambre du fond de l’appartement constatons la présence de jeunes femmes endormies. La première nous déclare verbalement, en langue française, se nommer: Yildune Lévy. (…) Dès lors, interpellons la nommée Yildune Lévy, il est 6 heures. Palpée sur place, l’intéressée n’est trouvée porteuse d’aucun objet dangereux pour lui-même [sic] ou pour autrui. Conformément à l’article 803 du code de procédure pénale, menottons l’intéressée celui-ci [re-sic] étant susceptible de prendre la fuite.»
A 460 km de là, à Viam (Corrèze), un petit village proche de Tarnac, neuf policiers, dont deux commissaires, et une femme (c’est la règle pour l’interpellation d’une femme… enfin, d’«une personne de sexe féminin»), s’occupent de Gabrielle H.*, 29 ans, étudiante infirmière.
«Nous rendons immédiatement à l’étage constitué de deux chambres. Dans celle à droite du palier, constatons la présence d’une femme allongée dans un lit que nous reconnaissons formellement comme étant Gabrielle H. Procédons à son interpellation, il est 6h05. Par mesure de sécurité, menottons Gabrielle H.»
Puis, «le reste du dispositif se rend immédiatement dans la maison voisine dans laquelle nous pénétrons en annonçant notre qualité de policier, et constatons qu’elle est vide de tout occupant. Sans désemparer, les effectifs procèdent à des recherches dans l’ensemble de la propriété, en vain».
«Nique sa mère Sarkozy»
6 heures toujours, à Rouen, au 78, rue de Xxxx. Neuf policiers, dont deux de la DCRI, et des «effectifs de la brigade de recherche et d’intervention» s’apprêtent à partir à l’assaut de la petite maison à colombage qui accueille une colocation, et notamment Elsa H., 23 ans, étudiante en histoire, visée par un mandat de recherche. Cette fois, ils ne «toquent» pas:
«Pénétrons dans l’enceinte de la propriété et chargeons les effectifs de la brigade de recherches et d’intervention de procéder à l’effraction de la porte extérieure du domicile à l’aide des matériels administratifs usuel. Dès lors, déclinons notre identité « Police » à haute voix et investissons les lieux.»
Problème: il y a du monde, dans la maison, mais pas de Elsa H. Débute quand même une «minutieuse perquisition». Les policiers trouvent «un sac de couleur jaune de marque Quechua avec à l’intérieur du matériel d’escalade dont un baudrier et plusieurs mousquetons. Une carte Club Alpin Français année 2008/2009 au nom de Bertrand D. est attachée au baudrier». Un mousqueton et une corde ont été utilisés lors de la manifestation de Vichy, et puis, à cet instant, les policiers, qui n’ont pas vraiment travaillé sur les sabotages eux-même, pensent peut-être que les crochets ont été posés en grimpant sur les poteaux (ce serait la mort assurée). Ils interrogent une des colocataires qui ne peut que constater:
«Il s’agit du matériel d’escalade d’un ami qui fait de l’escalade.»
Le matériel est placé sous scellé. Même chose pour «une paire de chaussures d’escalade, une bande de corde ainsi que plusieurs mousquetons».
Dans un sac, les policiers trouvent un certain nombre d’affiches aux slogans évocateurs: «L’Etat et ses chiens», «Nique sa mère Sarkozy», «C’est par les flux que ce monde se maintient, bloquons tout», «Ce ne peut être que la fin d’un monde en avançant», «Solidarité hargneuse avec les inculpés de Gênes», «Le grand jeu de la guerre civile», etc. A chaque, la colocataire est interrogée. A chaque fois, ou presque, elle répond: «Je ne sais pas ce que ça fait là.» Tout est saisi.
«Vu la dangerosité potentielle»
A 6h05, c’est au tour de Limoges, pour chercher Manon G., 25 ans, professeure de musique.
«Gagnons le second étage à l’appartement numéro quatre à l’aide d’un escalier en colimaçon. Vu la dangerosité potentielle et afin de prévenir toute déperdition de preuve, porteurs de nos brassard « police », et autres signes distinctifs de notre fonction, procédons à l’ouverture forcée de la porte d’entrée. A 6h10, pénétrons dans l’appartement et visitons le logement en sa totalité, composé de cinq pièces qui nous permet de constater l’absence de la nommée Manon G. et la présence d’un individu positionné sur un matelas au centre de la chambre.»
La «dangerosité» n’était que «potentielle», finalement.
A 6h10, c’est le domicile de CA, à Rouen, qui est investi par pas moins de quatorze policiers. Elle est absente, mais les policiers découvrent une autre cible, Elsa H., présente avec son petit ami Bertrand D.
«Sommes mis en présence d’un homme allongé»
Place à tarnac
Mais 6h10, c’est surtout l’offensive à Tarnac dans tous les lieux de vie de Julien Coupat et ses amis. Ça commence mal, personne n’est là où on l’attend. Puis, dans un appartement du village:
«Nous transportons (…) à Tarnac (Corrèze), où étant à 6h25, revêtus de nos brassards police, cartes professionnelles exhibées, nos qualités déclinées, pénétrons dans les lieux en forçant la porte à l’aide de moyens adéquats tout en annonçant notre qualité à haute et intelligible voix « Police » (…). A l’étage, dans la première chambre, sommes mis en présence d’un homme allongé sur un matelas posé à même le sol. Reconnaissons immédiatement un homme de type européen, âgé d’une trentaine d’année comme étant Julien Coupat. Julien Coupat est immédiatement interpellé et menotté il est 6h30. Exhibons à Julien Coupat le mandat de recherche.»
Les policiers finissent par la ferme du groupe, Le Goutailloux.
«Disons nous transporter sur la route communale menant au Goutailloux, à quatre cents mètres du point d’interpellation où étant à l’heure en tête du présent. Mentionnons qu’il fait nuit noire, une brume est présente et il pleut. Le secteur ne comprend aucun éclairage public. Indiquons qu’une première équipe effectuera un encerclement des caravanes situées en arrière du corps de ferme principale pour vérification de la présence éventuelle d’habitants et sécurisation du premier périmètre de la propriété d’une superficie totale d’environ 40 hectares. Une seconde équipe procédera à une pénétration de la partie du corps principal de ferme susceptible de contenir des habitations permanentes. Une troisième équipe procédera à une pénétration dans deux maisonnettes situées face à l’entrée du corps de ferme principal et susceptibles d’être utilisées. Disons que l’ensemble du dispositif se transporte pédestrement sur le point pour des raisons de discrétion. Entamons nos opérations de sécurisation et interpellations à 6h30.»
Une vingtaine de brosses à dents sous scellés
Ils réveillent un paquet de gens (plus d’une vingtaine de brosses à dents sont placées sous scellés pour expertise ADN: il y a du passage, à Tarnac), trouvent Benjamin R., 30 ans, cogérant du Magasin général, qui est interpellé. Une «minutieuse perquisition», à nouveau, est menée. Il s’agit de trouver armes et explosifs:
«Donnons instruction au maître chien de procéder à une recherche d’explosifs sur le site. Donnons instruction à deux fonctionnaires de police de procéder à une recherche de cache dans le sol via l’utilisation d’appareil de détecteur de métaux. Interrogeons monsieur Benjamin R. sur ce point, il nous répond: « Il n’y a aucun explosif ni arme, de plus cette habitation a une vocation collective, les chambres ne sont pas nominatives. »»
Tout est placé sous scellé, des rouleaux des scotchs aux vêtements, en passant bien-sûr par les tracts. Même le journal de la veille:
«Découvrons un journal Libération daté du 10 novembre 2008 fermé, supportant page 8 un article intitulé « SNCF sabotage sous haute tension » traitant des actes de malveillances commis ces derniers jours à l’encontre du réseau ferré (…). Interrogeons monsieur Benjamin R. qui nous déclare : « Ce n’est pas moi qui l’ai acheté, mais le magasin est abonné. »»
«Deux gilets pare-balle»
Dans la chambre 4, les policiers font LA découverte de la journée, deux gilets pare-balles:
«Cette pièce de 20m2 environ est aménagée de trois matelas posés à même le sol et d’un lit à barreau, un grand désordre y règne. Dans la cheminée, découvrons dans un sac plastique poubelle noire de marque COPP de 110 litres deux gilets pare-balle de marque GAGZ taille 83 /84 imprimé camouflage. (…) Interrogeons monsieur Benjamin R. il nous déclare : « Je ne savais pas que c’était là, mais je vous affirme qu’il n’y a pas d’arme. »»
Dans le village, les policiers continuent d’explorer les appartements utilisés par le groupe. A 6h30, ils entrent dans l’un d’eux, et tombent sur un énième couple qui dort.
«Pénétrons dans la première chambre toujours en énonçant notre qualité à haute voix et sommes mis en présence de deux personnes qui dorment sur un matelas posé au sol, identifions immédiatement ces deux personnes comme étant les nommés: Mathieu B. et Aria T. (…) Précisons que les intéressés sont connus du présent dossier pour avoir été observé à plusieurs reprises au contact du nommé Julien Coupat tant sur Paris que sur la commune de Rouen.»
Le couple n’était pas sur la liste dressée par le procureur la veille. Mais ils sont des très proches de Julien Coupat, et les policiers s’interrogent (un peu) sur la possibilité qu’ils aient commis les sabotages de l’Oise, dans la nuit du 7 au 8 novembre. Mathieu B., 27 ans, sans profession, l’un des colocataires du 78, rue Xxxx à Rouen, et Aria T., 26 ans, sans profession, qui habite à Tarnac, vont être intégrés dans la charrette.
«A la suite de la visite domiciliaire faisons immédiatement [informer] la section antiterroriste du parquet de Paris de la présence dans les lieux des nommés Aria T. et Mathieu B. et de leurs liens avec le nommé Julien Coupat établissant leur implication dans le présent dossier. A l’issue de ce compte rendu le vice-procureur nous délivre verbalement un ordre de comparution visant les nommés Aria T. et Mathieu B.»
«Un groupe de jeunes cagoulés»
Retour à Rouen, dans la colocation du 78, rue de Xxxx, justement. A 6h50, les policiers sont alertés de l’interpellation d’Elsa H.. Ils l’attendent et reprennent la perquisition en sa présence à 7h05. Du matériel d’escalade, encore. Des livres dans la cuisine, dont L’insurrection qui vient.
Les scellés sont nombreux. «Un rouleau de ruban adhésif de couleur noire» prendra le numéro 42, un fumigène SNCF trouvé dans la cave, le numéro 44. Dans la chambre, l’ordinateur est allumé:
«Le fond d’écran représente une voiture en stationnement en feu avec un groupe de jeunes cagoulés se trouvant à proximité.»
Tout l’informatique est saisi, bien-sûr, puis les brosses à dents. Même chose dans la chambre de Mathieu B.
A 7h45, sur l’autre lieu de perquisition à Rouen, les policiers reçoivent finalement l’ordre d’interpeller Bertrand D., 22 ans, étudiant en sociologie, petit ami de Elsa H., et fan d’escalade, donc.
A 9h45, ils trouvent enfin Manon G., dans l’une des caravanes installées au Goutailloux. Elle est arrêtée.
«Le travail de renseignement qui a été effectué à ma demande»
Très loin de là, en Meurthe-et-Moselle, la mère de Gabrielle H. est également arrêtée. Dix arrestations au total. Dont trois improvisées. Plus surprenant, les policiers ne parviennent pas à attraper l’une des personnes visées par un mandat de recherche, CA, citée parmi les «principaux protagonistes de l’activité clandestine articulée autour de Julien Coupat» dans la requête en autorisation de perquisition du procureur. Et elle ne sera plus jamais inquiétée. La police laisse tomber, comme ça. Le mandat de recherche n’est même pas coté au dossier, et, comme par magie, un des «principaux protagonistes» est ravalé au rang de second couteau oublié dans un coin.
Peu importe, au fond, les détails. Le week-end de pont du 11 novembre, gâché par les sabotages de lignes TGV, est rattrapé par cette vague d’interpellation. Tout le monde est content, et surtout Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, qui nous apprend qu’elle dirige l’enquête depuis des mois… «L’opération de ce jour a été rendue possible par le travail de renseignement qui a été effectué à ma demande depuis plusieurs mois par la direction centrale du renseignement intérieur», explique-t-elle en conférence de presse. Voici le journal de 20 heures de France 2, le soir du 11 novembre: