épisode

#20

Une garde à vue couci-Coupat

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. La Sous-direction antiterroriste ne trouve ni arme, ni explosif. Les gardes à vue viennent de commencer, quand un événement imprévu vient les troubler.

Il y a la loi. Et puis il y a la pratique. En France, en 2000, il a été explicitement inscrit dans le code de procédure pénale que «la personne gardée à vue est également immédiatement informée qu’elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par les enquêteurs». En 2004, la disposition a été abrogée*. Mais la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) y tient. Elle le rappelle régulièrement, depuis le début des années 1990, lors de ses arrêts: l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à un «procès équitable», inclut «le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence». Voilà pour les grands principes. Passons maintenant à la pratique.

Il est 8h20, le 12 novembre, dans les locaux de la SDAT, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Le lieutenant BM, numéro deux du groupe d’enquête, débute sa première audition de Julien Coupat. Il est déjà en garde à vue depuis plus de vingt-quatre heures. Les premières questions concernent son état-civil, sa situation familiale, son emploi, ses ressources. Peu importe la nature des questions, Julien Coupat «refuse de répondre».

«Un silence peut être interprété dans différents sens»

A ce rythme, on sent que les potentielles quatre-vingt-seize heures de garde-à-vue** vont être ardues. Première passe d’armes. Manifestement, le droit au silence n’est pas immédiat pour le policier :

Question : Pouvez-vous nous indiquer les raisons de votre silence, alors que les questions que nous vous posons ne sont relatives qu’aux éléments de votre identité et non aux faits objets des investigations diligentées dans la présente enquête ?

Réponse : Je récuse ce type de procédure d’exception, tant policière que judiciaire, dont l’anti-terrorisme est le paravent.

Question : Voulez-vous nous indiquer par ici que votre silence est le résultat de ce constat ?

Réponse : Oui.

Question : N’y aurait-il pas d’autres moyens que le silence pour s’opposer à ce type de procédure ?

Réponse : Non, pas dans ma position.

Question : Voulez-vous nous dire que vous allez désormais refuser de répondre systématiquement à toutes les questions qui vous seraient posées ?

Réponse : Oui.

Nouvelle salve de questions. Nouveaux refus de répondre.

Question : Comprenez-vous que le maintien de votre silence face aux questions posées n’est pas un élément de nature à mettre en évidence votre volonté de vous expliquer quant aux faits qui vous sont reprochés, et qu’un silence peut, par nature, être interprété dans différents sens ?

Réponse : C’est dans la nature même de la procédure en matière de terrorisme d’avoir déjà répondu aux questions, puisque c’est une intention qui est jugée. Je n’ai rien à ajouter.

Cette tendance, en France, à assimiler le silence en garde à vue à une forme d’autoincrimination n’est pas particulière à l’affaire de Tarnac, ni même à l’antiterrorisme. C’est le lot de toutes les affaires de droit commun.

«Votre attitude silencieuse relève plus d’une stratégie»

L’affaire aura été pliée en trente minutes : «Après lecture faite par lui même, Julien Coupat persiste et refuse de signer le présent avec nous à 8h50.» Une deuxième audition débute à 10h45, puis une troisième à midi.

A la quatrième, en fin d’après-midi, le lieutenant perd un peu patience, après une série de questions sur la manifestation du 3 novembre à Vichy (épisode 13) :

Question : Au cours de cette manifestation vous avez chanté avec un mégaphone une chanson dont le refrain est « Nicolas nous voilà, devant toi le sauveur de la France nous jurons pauv’taré de te pendre à ton croc de boucher », et ce avant de commettre des violences. Comment ne pas penser que ces violences sont directement liées à votre volonté de s’opposer violemment à l’Etat et ses représentants ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Comment ne pas croire que votre attitude silencieuse relève plus d’une stratégie que de la récusation du type de procédure judiciaire liée à la matière anti-terroriste ?

Réponse : Je refuse de répondre.

«Statut de leader de la contestation violente»

Au total, il y aura dix auditions de Julien Coupat. Sur son «engagement politique et idéologique», sur le voyage à New York (épisode 4). Sur la manifestation anti-Edvige du 16 octobre (épisode 11), à Paris, les raisonnements deviennent un peu compliqués :

Question : Le fait que vous soyez interrompu dans votre tentative de faire dégénérer les choses autour de ce contrôle d’identité, par un organisateur de la manifestation [du 16 octobre], ne permet-il pas de mettre en exergue, à la lumière du rôle que vous avez tenu le 3 novembre 2008, votre statut de leader de la contestation violente au sein de cette mouvance autonome?

Donc, si on a bien compris, le fait que Coupat aurait été empêché d’agir à Paris ferait de lui un leader. A Vichy.

De toute façon, pas de réponse. On en vient aux sabotages du 7 au 8 novembre, lors de la septième audition, le 13 novembre à 10h50 :

Question : Au cours de la fouille de la poubelle sise à Le Trilport, dans laquelle vous aviez précédemment jeté divers objets, il a été découvert notamment un emballage de lampe torche frontale 5 leds, de marque Xanlite. Voulez-vous nous expliquer à quel usage était destiné la lampe qui était contenue dans cet emballage?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Cette lampe torche était-elle destinée à vous éclairer au cours de la soirée du 7 novembre 2008, et notamment lors de votre arrêt à proximité du pont de chemin de fer sur la RD23, en pleine zone rurale, et dépourvue d’éclairage public ?

Réponse : Je refuse de répondre.

«Justifiant qu’elle se sépare ainsi de son enfant»

Et puis il y a un deuxième sabotage que les policiers tentent de raccrocher à Julien Coupat, celui de Vigny, en Moselle, dans la nuit du 25 au 26 octobre. Ils ont découvert qu’il était venu, avec Gabrielle H., déposer leur petite fille chez la mère de Gabrielle H., à Baccarat (Meurthe-et-Moselle), pour les vacances. Baccarat est à 70 km de Vigny. 70 km qui vont devenir «une dizaine de kilomètres» dans la question du policier – mais il s’agit du rédacteur du PV 104, et nous avons vu que la géographie n’était pas son talent principal.

Question : Au cours de la soirée du 25 et 26 octobre 2008, vous êtes-vous rendu dans l’est de la France ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : La mère de Gabrielle H., la nommée MM, a déclaré lors de ses auditions recueillies sous le régime de la garde à vue qu’elle a aperçu sa fille pour la dernière fois dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008, dans son domicile personnel à Baccarat (Meurthe-et-Moselle), et que vous l’accompagniez. Maintenez-vous ne pas vouloir vous expliquer quant à votre présence à cet endroit à cette date?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Au cours de ces mêmes déclarations, MM a indiqué que qu’elle avait reçu un appel de Gabrielle H. lui demandant de regagner son domicile à Baccarat afin d’assurer la garde de sa fille durant la nuit. Quelle activité comptait pratiquer en votre compagnie Gabrielle H. justifiant qu’elle se sépare ainsi de son enfant ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : MM indique également que vous avez quitté son domicile de Baccarat vers une heure du matin, le 26 octobre 2008 en compagnie de Gabrielle H., et que lors de son réveil au début de la matinée, vous aviez tous deux regagné ce domicile. Pourquoi refuser de nous indiquer l’objet de cette sortie nocturne ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Dans la réalité, les déclarations de MM, entendue sous le régime de la garde à vue dans un bureau de la PJ à Nancy, sont un peu moins précises que ça : «Je pense qu’ils sont partis après minuit le samedi soir et je ne sais pas ce qu’ils allaient faire. Je crois qu’ils sont partis en voiture. Je les ai entendu rentrer mais je ne sais pas exactement combien de temps ils sont partis, j’étais couchée quand ils sont rentrés.»

«Comportement étrange»

L’audition de Julien Coupat continue :

Question : MM nous précise qu’elle a noté lors de cette soirée du 25 octobre 2008 que sa fille avait un comportement étrange qui ne lui était pas habituel, et qui a provoqué de l’inquiétude. Pouvez-vous nous indiquer ce qui semblait troubler ainsi Gabrielle H.?

Réponse : Je refuse de répondre.

A Nancy,  MM a dit cela aux policiers: «J’étais inquiète qu’ils soient partis de cette façon la nuit car je m’imaginais qu’il aurait pu arriver quelque chose mais c’était une inquiétude générale, je ne pensais pas spécialement à quelque chose, juste l’inquiétude d’une mère vis-à-vis de ses enfants.» En fait, ce n’est pas elle qui parle de comportement étrange, mais le policier, à la fin de la septième audition:

Question : Avez-vous vu votre fille faire des choses inhabituelles, étonnantes ou qui vous aurait inquiétée lorsque vous l’avez vu en octobre 2008 ou est-ce arrivé antérieurement ?

Réponse : A l’exception de cette sortie du samedi soir dans la nuit, je n’ai jamais constaté de comportement inhabituel de ma fille.

«Parallèle conforté»

A Levallois, Julien Coupat reste silencieux :

Question : Ce comportement n’était-il pas lié à la prévision d’une participation de Gabrielle H. à une action illégale ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Comprenez-vous que l’on puisse s’interroger, voire opérer un parallèle entre le comportement de Gabrielle H. décrit par sa mère au cours de la soirée du 25 octobre 2008 et les étranges déplacements du véhicule Mercedes que vous conduisiez le 7 novembre 2008 en Seine-et-Marne ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Comprenez-vous que ce parallèle soit conforté par le fait qu’il ait été établi dans la présente enquête que les services de la SNCF aient constaté dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 qu’un crochet métallique ait été déposé sur la ligne à grande vitesse du TGV-Est, à hauteur de la commune de Vigny (Moselle), étant entendu que vous vous êtes arrêté deux fois au cours de la soirée du 7 au 8 novembre 2008 à proximité d’un pont de chemin de fer ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Le comportement étrange de Gabrielle H. relevé par sa mère n’est-il pas lié à la connaissance qu’elle aurait pu avoir de la dépose de cet objet sur la ligne grande vitesse à Vigny ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Connaissez-vous la distance séparant Vigny de Baccarat?

Réponse : Je refuse de répondre.

Question : Ces deux villes sont distantes d’une dizaine de kilomètres. Ne peut-on pas penser que vous vous êtes rendu à Vigny dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 en compagnie de Gabrielle H., pour, comme à l’exemple de ce qui s’est passé le 7 novembre 2008, vous arrêter à proximité de la voie de chemin de fer de la ligne TGV-Est ?

Réponse : Je refuse de répondre.

Le 14 novembre, à 11 heures, la fin de la garde à vue est notifiée. Elle aura finalement duré un peu plus de trois jours. Etrangement, pas une seule question n’a été posée sur les autres sabotages de la nuit du 7 au 8 novembre au pourtant «leader» du groupe.

Quelques minutes avant la fin de la garde à vue, une dernière question a été posée à Julien Coupat. Une mystérieuse revendication allemande a fait son apparition.


*Aujourd’hui, après plusieurs réformes, la formulation est celle-ci (article 63-1 du code de procédure pénale):

«La personne placée en garde à vue est immédiatement informée (…) du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.»

 

**Pour les dossiers de terrorisme, la garde à vue de droit commun (24 heures renouvelable une fois) «peut, à titre exceptionnel, faire l’objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune», ce qui mène à 96 heures (art. 706-88 du code de procédure pénale). Elle peut même «s’il ressort des premiers éléments de l’enquête ou de la garde à vue elle-même qu’il existe un risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement» faire «l’objet d’une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures, renouvelable une fois», ce qui porte sa durée à 144 heures (art. 706-88-1).


Article original par Laurent Borredon publié le 04/07/2014

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